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les cahiers
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N° 1 - 1982 - Les deux versions du premier Jeu
Sommaire
Poème inédit
Lettre inédite
Le premier Colloque sur Patrice de La Tour du Pin
Philippe DELAVEAU : Exclusion et Réclusion : Le devenir d’un texte de Patrice de La Tour du Pin. La Vie Recluse en Poésie.
Isabelle RENAUD-CHAMSKA : Le Monde d’Amour
Yves-Alain FAVRE : De l’une à l’autre Somme : Vers une théologie de la lumière
Javier del PRADO : La poétique patricienne : métaphore et/ou prise de chair
Échos divers
Bibliographie 1975-1980
N° 2 - 1983 - Le Troisième jeu
Sommaire
Textes inédits :
Messe de l’Annonciation, Poème, « Ce petit livre… », « L’Enfant des eaux »
Extrait d’une lettre à Phylis
Études : Le Petit Théâtre crépusculaire de P. de La Tour du Pin
Claude ARNAUD : Propos d’usagers
Yves-Alain FAVRE : Le Symbolisme de l’eau dans Le Jeu de l’homme devant Dieu Yves LEROUX : Réflexion sur l’image et sur les mots d’appui dans les Concerts eucharistiques du troisième Jeu
N° 3 - 1984 - Enfances
Sommaire
Patrice de La Tour du Pin : Textes inédits ou peu connus.
- Carnets (extraits)
- Hymne à l’Esprit-Saint de Création
- Oratorio de la Transfiguration
- Préface à Cantiques pour des pays perdus
- « Une île minuscule… », première version
Marcel LOBET : Poésie et mystique littéraire
Isabelle RENAUD-CHAMSKA : D’Enfances à Fin d’enfances, le Premier Jeu Philippe DELAVEAU : Andicelée ou la vocation du poète
Pierre-Édouard de LA COSTE MESSELIÈRE : R.M. Rilke et P. de La Tour du Pin : les abeilles d’or de l’invisible
Emmanuel de CALAN : De l’enfance à l’Esprit d’enfance
Claude ARNAUD : L’Enfance dans Le troisième Jeu
N° 4 - 1985 - Anthologie
Sommaire
Introduction générale de Yves-Alain FAVRE
Roger SECRETAIN : Hommage à un grand poète de notre temps
Yves-Alain FAVRE : Années d’Enfance et de Jeunesse
Jean GUITTON : La Guerre et l’Âge Mûr
Yves-Alain FAVRE : Le Poète en son accomplissement
Cahier de photos
Bibliographie
N° 5 - 1986 - D’un jardinier
Sommaire
Patrice de LA TOUR DU PIN :
- Lettre inédite à Didier Rimaud (extrait)
- Le Verbe végétal (inédit)
- Une Somme de Poésie : le motif du végétal
Florilège
Études :
Christiane JAQUINOD : Le Végétal dans les Psaumes de Patrice de La Tour du Pin
Alice PLANCHE : Arbres, mes compagnons… Patrice de la Tour du Pin et le monde des plantes
Yves-Alain FAVRE : Pour une théopoétique du végétal
Isabelle RENAUD-CHAMSKA : Plaidoyer pour une strophe
Jacques FERRAND : Autour d’un portrait
N° 6 - 1988 - Marie Noël et La Tour du Pin
Sommaire
Patrice de LA TOUR DU PIN : textes inédits
- Notre Père
- Commentaire du Pater
- Exultet
- Deux lettres inédites à P.L. Mallen
- Quatre lettres inédites à G. Robert
Marie Noël et Patrice de La Tour du Pin :
Marie-Madeleine DIENESCH : Les échanges entre Marie Noël et Patrice de La Tour du Pin
Isabelle RENAUD-CHAMSKA : La Tour du Pin et la liturgie
Yves LEROUX : Regards sémantiques sur quelques mots-clefs du “Concert Eucharistique”
Yves-Alain FAVRE : La Source et le torrent : Marie Noël et Patrice de La Tour du Pin
Philippe DELAVEAU : Patrice de La Tour du Pin et Marie Noël, deux façons de chanter l’Éternel
Études :
Jany BALAIDIER : Le Contrat dans une Masure
Jacques GAUTHIER : P. de La Tour du Pin théologien
N° 7 - 1989 - Humour et fantaisie
Sommaire
Textes inédits
Le Ramoneur - Pièce pour marionnettes
Yves-Alain FAVRE : Fantaisie et Poésie chez La Tour du Pin
Isabelle RENAUD-CHAMSKA : L’humour évidemment
Didier RIMAUD, s.j. : Une Poésie Signifiante
N° 8 - 1990 - D’un captif
Sommaire
Poèmes inédits
Proses inédites
Poèmes offerts
Articles de Presse
Conférence
Bibliographie
N° 9 - 1992 - Le Deuxième jeu
Sommaire
Patrice de La Tour du Pin : textes inédits
- Le Cavalier à la grande cage (deux versions)
- Lettres d’Appel (deux versions)
- Difficulté de l’écrivain au XXe siècle
- Prière pour un intellectuel
Études :
Yves-Alain FAVRE : Le début du Second Jeu : Du désert à la source
Isabelle RENAUD-CHAMSKA : Incarnation et Eucharistie : deux hymnes inédites du Second Jeu
Christiane JAQUINOD : Bibliographie 1926-1956
Isabelle RENAUD-CHAMSKA : Bibliographie complémentaire 1938-1990
N° 10 - 1993 - D’un traducteur
Sommaire
Inédits
Yves-Alain FAVRE
Entretien avec Joseph Gélineau
Didier RIMAUD : D’un traducteur
A-G. HAMMAN : Un itinéraire spirituel
Yves-Alain FAVRE : La lyrique religieuse au XXe siècle
Isabelle RENAUD-CHAMSKA : Préface
Edito
D’un traducteur
Ce dixième cahier de notre Association marque un tournant. La brutale disparition, le 4 juillet 1992, d’Yves-Alain Favre, fondateur et président des Amis de Patrice de La Tour du Pin, laisse un grand vide dans l’étude des Lettres françaises, tout particulièrement dans l’intelligence de la poésie contemporaine.
L’Assemblée générale de l’Association réunie à Paris le 15 octobre dernier sous la présidence d’Yves Leroux, Secrétaire Général, a donc procédé à un renouvellement du bureau. Ont été élus à l’unanimité des présents :
Isabelle Renaud-Chamska, Présidente
Jean-Yves Debreuille et Claude Girault, Vice-présidents
Noëlle d’Aboville, Trésorière.
Yves Leroux demeure notre Secrétaire général. Le Comité de direction accueille Claude Arnaud, Philippe Delaveau et Pierre Oster aux côtés de Didier Rimaud et de Louis de La Tour du Pin.
À l’exemple de leurs prédécesseurs, les membres du nouveau bureau travailleront à une meilleure diffusion des œuvres de Patrice de La Tour du Pin, continuant à étudier Une Somme de poésie et à faire paraître ce cahier dont le prochain numéro aura pour thème la chasse, dans tout le déploiement sémantique du mot.
Le thème liturgique nous retiendra cette année. “Convoqué”, comme il aimait à le dire, à la traduction des textes latins du Missel de Paul VI, puis invité à créer des hymnes pour le nouveau Bréviaire, La Tour du Pin s’est beaucoup investi dans ces différentes tâches qui toutes contribuaient à la qualité de la prière de l’église et à la gloire de Dieu. Nul mieux que lui peut-être n’a expérimenté les rapports intimes entre la poésie et la prière. Il dit avoir appris en particulier deux choses : d’une part que le poète est au service de la Communauté chrétienne à qui il propose ses mots et qui en dispose ; d’autre part que chaque génération d’hommes a pour mission de trouver l’expression de sa prière, ou plutôt de la prière du Christ vivant à son époque, et que cette expérience devra se renouveler au long de l’histoire, dans le respect d’une tradition bien comprise.
Selon donc une habitude fermement établie, ce numéro propose pour commencer des textes inédits de La Tour du Pin. La Grand messe pascale, puis la Grand messe de la Résurrection, celle-ci n’étant peut-être qu’un état plus élaboré de celle-là. On sait que le poète avait l’intention de clore sa Somme par une Messe qui devait être l’aboutissement aussi des cinq Liturgies de Carême qui ponctuent la “voie pascale” et aboutissent à la Veillée pascale du Troisième jeu. On retrouve ici des thèmes et des expressions communs à tous ces textes. La Messe devait se terminer par l’hymne En toute vie que l’on trouve dans Prière du temps présent.
La partie critique du cahier se compose d’un article inédit d’Yves-Alain Favre sur la place de La Tour du Pin dans la poésie religieuse française du XXe siècle, d’une interview de J. Gelineau sur le rôle de La Tour du Pin dans le renouveau poétique et liturgique de l’Eglise catholique de France, d’un article de D. Rimaud sur le travail de traduction de La Tour du Pin dans la liturgie conciliaire, d’une conférence faite par le P. Hamman lors de notre réunion annuelle, sur l’itinéraire spirituel de La Tour du Pin, et d’une méditation sur le beau mot de “préface” tel qu’il se déploie dans la Somme.
Nous espérons que ce cahier répondra aux attentes des Amis et des lecteurs de La Tour du Pin à qui nous demandons d’écrire pour faire des suggestions ou donner des idées aux rédacteurs, voire pour proposer des articles.
Isabelle Renaud-Chamska
Présidente de la Société des Amis de Patrice de La Tour du Pin
N° 11 - 1994 - D’un chasseur
Sommaire
Manuscrit extrait du Livre de château
Inédits
Deux poèmes
Claude ARNAUD : Mémoires de chasse
Bruno MELTZEIM : La vraie quête du chasseur
Guy DE LA MOTHE : Chasse et vènerie dans l’œuvre de P. de La Tour du Pin Jean ONIMUS : Poétique de la Sauvagine
Luca PIETROMARCHI : La Quête de joie et les légendes de la Chasse Sauvage Isabelle RENAUD-CHAMSKA : La vertu poétique de l’attente
Jean BAUDRY
Thèse de Doctorat de Marie-Josette LE HAN
L’épistolaire
Edito
D’un chasseur
Ce onzième cahier des Amis de La Tour du Pin est consacré à la chasse. Du Premier au Troisième jeu, la chasse est un thème récurrent dans la Somme
On sait Patrice de La Tour du Pin chasseur depuis sa jeunesse, on connaît son tempérament solitaire qui se plaît dans les vastes étendues marécageuses, ses longues heures d’affût dans les nuits fraîches de l’automne. Son intérêt pour cette activité qui l’occupe tant pendant sa jeunesse ne faiblira pas dans l’âge mûr. Ses qualités sportives, intellectuelles et spirituelles y sont sollicitées, et ce jeu très particulier lui procure un plaisir intense. Pour analyser de près ce tempérament de chasseur et la place de la chasse dans l’œuvre poétique de La Tour du Pin, Claude Arnaud évoquera pour nous l’ami avec qui il chassait, et Bruno Meltzeim nous racontera comment, n’ayant pourtant jamais connu le poète, il retrouve dans Une Somme de poésie, avec une acuité toute particulière, les sentiments qui l’habitent pendant ses longues heures de chasse dans une région proche du Bignon. Guy de La Motte explique ensuite pour nous les termes de vénerie qu’il a relevés dans la première édition de la Somme.
Mais s’il traque les bêtes des bois, Patrice traque aussi, et peut-être surtout, “les bêtes des songes”. Car la chasse est le point de départ et la nourriture de son activité poétique. Jean Onimus nous dit l’exaltation du poète en contact avec la nature sauvage, trouvant là de quoi alimenter son désir d’absolu et sa quête de la transcendance. Luca Pietromarchi, après de savantes recherches et un fructueux séjour au Bignon, éclaircit un peu le mystère qui plane sur les chasses sauvages dans la Somme, et sur l’origine brumeuse du personnage d’Ullin. Je m’attache à montrer, pour finir, comment la qualité propre du chasseur à l’affût, l’attente, est aussi le lieu de l’élaboration de l’écriture poétique de La Tour du Pin.
Quelques poèmes sur le thème de la chasse viendront nourrir l’instinct du chasseur qui sommeille au fond de chacun des lecteurs de la Somme.
Isabelle Renaud-Chamska
Présidente de la Société des Amis de Patrice de La Tour du Pin
N° 12 - 1995 - Correspondances-1
Sommaire
Marie-Josette LE HAN : Échanges sur la création poétique
Isabelle RENAUD-CHAMSKA : Cher Didier
Gabriella FIORI : Entre frère et sœur
Jean-Marie SAINTILLAN : Chemins de rencontre
Edito
Présentation de correspondances avec Armand Guibert, Louis-René des Forêts, Didier Rimaud, S. Phylis de la Vierge et Jean-Marie Saintillan.
Au moment où sort le premier des «Carnets de route» de Patrice de La Tour du Pin grâce aux soins diligents du Père Gélineau et de Marc Gsell, les Cahiers de l’Association proposent de plonger dans la correspondance du poète. Patrice de La Tour du Pin fut en effet un grand épistolier. Alors qu’il écrivait chaque matin pour son compte personnel, poursuivant inlassablement un voyage intérieur commencé dans son enfance, poésie et prière confondues, il passe aussi de longues heures à converser par écrit avec ses amis. Plus de 600 lettres sont déjà réunies au Bignon-Mirabeau, données par une vingtaine de destinataires ayant correspondu plus ou moins longtemps avec lui. Proches ou moins proches, les relations épistolaires qu’ils ont entretenu avec lui sont toujours intéressantes parce qu’elles sont un inestimable témoignage de la genèse de la Somme et de la vie spirituelle, littéraire et affective de son auteur.
Ce cahier n° 12 qui paraît pour le vingtième anniversaire de la mort du poète voudrait donner une première idée de la richesse de cette correspondance.
À partir d’une étude des lettres à Armand Guibert et à Louis-René des Forêts, Marie-Josette Le Han expose l’importance de l’activité épistolaire de La Tour du Pin, et son rôle dans l’élaboration de l’univers poétique de la Somme. Avec Armand Guibert, éditeur, critique littéraire et admirateur de la première heure, le poète a eu une correspondance suivie entre 1932 et 1956 : 96 lettres de La Tour du Pin et une impressionnante liasse de lettres d’Armand Guibert, gardées par le jeune poète.
Avec son ami d’enfance Louis-René des Forêts, les 11 lettres que nous avons, non datées, semblent être écrites pour la plupart autour de 1947. La Tour du Pin échange avec ces deux hommes ses idées et son expérience sur la création poétique.
L’article de Gabriella Fiori montre comment Patrice et sa sœur Phylis, entrée toute jeune chez les Dominicaines contemplatives de Sens, ont vécu, ensemble, la même quête spirituelle, elle dans son couvent, lui à sa table de travail, et comment la grande sœur a accompagné son frère dans l’élaboration de son œuvre poétique. Leur correspondance s’échelonne sur une quarantaine d’années entre 1932 et 1972. 73 lettres de Patrice pour 6 lettres de Phylis seulement, mais à l’époque cruciale de la formation du jeune homme, avant la guerre.
D’un tout autre point de vue, les lettres à Jean-Marie Saintillan, que nous présente ici leur destinataire, sont aussi très instructives. Elles nous montrent le poète en correspondance avec un de ses lecteurs : lecteur fort cultivé et amateur de poésie, désireux de comprendre et de suivre la genèse d’une œuvre qu’il sent importante pour son siècle, et poursuivant assidûment, entre 1947 et 1973, une correspondance qui nous livre aujourd’hui quelques clefs essentielles de l’œuvre poétique de La Tour du Pin.
Avec les lettres à Didier Rimaud, nous entrons dans le domaine de l’amitié. Entre 1968 et 1975, s’échelonnent 28 lettres de Patrice à celui qui sera le confident privilégié de son travail d’écriture et de sa vie spirituelle pendant les dix dernières années de sa vie. On y assiste en particulier à l’élaboration des concerts eucharistiques, et au travail impressionnant de mise en œuvre du troisième Jeu en même temps que la refonte de la Somme.
N° 13 - 1996 - Écriture et Prière
Sommaire
Ouverture par Joseph DORÉ
Isabelle RENAUD-CHAMSKA : Écriture poétique, Écritures bibliques
Joseph GÉLINEAU s.j. (CNPL) : Théologie et création verbale chez La Tour du Pin
Luca PIETROMARCHI (Université de Trente) : Architecture, prière et poésie à Tess
Aude PRETA DE BEAUFORT (Paris IV) : Poésie et Quête de L’unité chez P.-J. Jouve, P. Emmanuel, J.-C. Renard, J. Grosjean et C. Vigée
P. DE CLERCK (ISL) : La création poétique dans la prière chrétienne
Nathalie NABERT : (Faculté des Lettres de l’ICP) Prière et poésie chez quelques poètes du XXe siècle
Toby GARFITT (Université d’Oxford) : Traduire (dans) l’œuvre de La Tour du Pin
Marie-Josette LE HAN (Université de Brest) : Le « jeu » de la parole et du silence dans Une Somme de Poésie
Sophie MARCHAND : Le rôle des anges dans la création poétique chez La Tour du Pin
Didier RIMAUD s.j. (CNPL) : Présentation du concert clôturant le colloque
Edito
Actes du colloque du 25 juin 1996 : écriture et prière
Le 25 juin dernier, un colloque réunissait une centaine d'admirateurs de Patrice de La Tour du Pin à l'Institut catholique de Paris, pour souhaiter le vingtième anniversaire de la mort du poète. Le thème retenu : “écriture et prière” a donné lieu à des communications nombreuses, permettant d'aborder des aspects différents d’Une Somme de poésie, et de montrer comment les questions que La Tour du Pin s'est posées tout au long de son existence étaient aussi celles de certains de ses contemporains : quels rapports un poète, chrétien ou non, voit-il entre son métier d'écrivain et la foi qui l'anime ? Comment vit-il des liens entre son travail d'écriture et sa prière ? À la lecture des interventions reproduites dans ce treizième Cahier, on comprendra mieux l'originalité de la réponse apportée par La Tour du Pin à ces questions cruciales qui engagent jusqu'aux raisons mêmes de vivre et d'écrire.
Que soit remercié ici le Père Joseph Doré, directeur du Département Recherche de l'Institut catholique de Paris, qui a si spontanément accueilli la suggestion de ce colloque qu'il a activement organisé avec notre Société. Que soient remerciés aussi tous les conférenciers qui ont fait souvent l'effort de venir de loin malgré un emploi du temps chargé, et nous ont permis de découvrir des aspects ignorés de l'œuvre de La Tour du Pin. Que soient remerciés enfin tous ceux qui ont participé à la réalisation de cette journée, moment de vraie joie pour les amoureux de la Somme, moment de plaisir intellectuel et de convivialité pour tous.
Vingt ans après la mort de La Tour du Pin, Une Somme de poésie reste un trésor largement inexploré par les hommes et les femmes de notre temps. Ce colloque avait pour but, à sa modeste mesure, de permettre le plus grand rayonnement d'une œuvre qui continue à susciter de nouveaux admirateurs et de nouvelles études, en France comme à l'étranger, comme en témoigne la diversité et la jeunesse du public présent pendant cette journée. Nous avons ainsi le plaisir de saluer la sortie en librairie de deux livres majeurs : La Quête de Joie di Patrice de La Tour du Pin, publié en italien par Luca Pietromarchi, Dipartimento di Scienze Filologische e Storiche de l'Université de Trente, en 1995, qui doit être traduit prochainement en Français ; et Patrice de La Tour du Pin : la quête d'une théopoésie par Marie-Josette Le Han chez Honoré Champion en 1996. Rappelons enfin l'étude de Jacques Gautier : Que cherchez-vous au soir tombant ? Dix hymnes de Patrice de La Tour du Pin, coédité par les éditions du Cerf à Paris et les éditions Médiaspaul à Montréal en 1995.
Cette journée de travail s'est terminée en beauté à Notre-Dame de Paris où nous était généreusement offert un concert de textes de La Tour du Pin mis en musique par Jacques Berthier, Joseph Gélineau, François Verken et Christian Villeneuve. Grâce à Jean-Michel Dieuaide et aux artistes de Musique sacrée à Notre-Dame, la poésie de La Tour du Pin a pris chair pour un soir de grand bonheur.
Isabelle Renaud-Chamska
Présidente de la Société des Amis de Patrice de La Tour du Pin
N° 14 - 1998 -
Correspondances-2
Sommaire
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L’épistolaire (suite du cahier n° 12)
Lettre de l’abbé Mugnier à Patrice de La Tour du Pin
Quatre lettres à Anne-Henri de Bieville-Noyant, présentées par Isabelle Renaud-Chamska
À l’ami inconnu, au lecteur attentif : lettres à Armand Guibert (1932-1935), parJean-Yves Debreuille «Et nous ferons ce soir-la l’amitié ou une belote» Présentation par Isabelle Renaud-Chamska des lettres à Jacques Ferrand, précédées de deux enveloppes en vers.
Histoire naturelle : (inédit) Textes : Patrice de La Tour du Pin, illustrations : Jacques Ferrand
« Lettre aux confidents » par Patrice de La Tour du Pin (réédition)
•
La Vierge
Patrick PIGUET : Virginité de la parole chez Patrice de La Tour du Pin
« Comme un reflet », compte rendu de concert par Didier Rimaud
Edito
Correspondance et confidence
Ce cahier n° 14 prend la suite du cahier n° 12 qui était déjà consacré à l'épistolaire. En effet, la matière est abondante: “reclus” dans son
château du Bignon, le poète a beaucoup écrit, à de très nombreux amis à qui il expliquait son travail littéraire et décrivait sa vie quotidienne. À la lecture de ces lettres, on est frappé par leur aspect kaléidoscopique et par le côté éclectique des relations amicales de La Tour du Pin. À chacun de ses correspondants le poète raconte différemment une matière qui est globalement la même, avec des accents particuliers.
Le correspondant est toujours un
confident, qu’il fasse partie des amis de collège comme Michel du Boisbéranger ou Louis-René des Forêts, des amis de cœur comme Anne-Henri de Biéville-Noyant ou Joachim de Bernis, ou qu’il soit physiquement inconnu du poète, comme Armand Guibert qui suit avec tant de ferveur et d’intelligence la naissance et l’évolution de la poésie de La Tour du Pin depuis les rives africaines de la Méditerranée. On trouve parmi les confidents des amis plus récents aussi, comme Jacques Ferrand ou Didier Rimaud.
On sait l’importance de ces
confidents dans la vie du poète reclus, et le paradoxe de cet homme qui a choisi la solitude mais ouvre largement sa maison et sa vie à tous ceux qui frappent à sa porte et qu’il accueille généreusement dans son jardin privé. Homme de cœur, La Tour du Pin a toujours une foi à donner : foi en lui-même et en sa vocation, foi dans l’autre rencontré, foi dans le Christ, qu’il partage avec sa sœur Phylis entrée au couvent, puis avec les nombreux amis prêtres qui se succèdent dans sa vie: le père Dupuy pendant la guerre, le père André, le Père Hamman, franciscain, le Père Rimaud, jésuite; avec certains, aussi, attirés un temps par la vie religieuse et demeurés laïcs, comme Patrice Blacque-Belair. La foi du “confident” n’est pas forcément catholique, ni même religieuse: Anne de Biéville-Noyant est protestant, et Jacques Ferrand avoue un athéisme discret et bon teint. Patrice sait respecter les convictions de chacun sans abdiquer les siennes.
Dans ses lettres, il explique sa démarche et son travail, trouvant là un lieu, qu’il sait précieux, de discernement sur lui-même et d’explicitation du lent travail d’écriture qui l’occupe sa vie durant. Encore au seuil de cette aventure qu’il pressent immense, il demande des conseils à Anne de Biéville qui, en homme de lettres et de culture, encore très jeune aussi – ils ont le même âge – mais capable de prendre de la distance, donne un point de vue averti. Plus tard, c’est La Tour du Pin qui donnera des conseils à André Romus, dans ces lettres magnifiques, les seules éditées à ce jour (épuisées, hélas, et pour le moment non rééditées), qui forment comme un recueil de
lettres à un jeune poète. Le maître s’y met à nu, il s’expose, pour découvrir le chemin de la poésie au disciple qui le sollicite.
La matière de ces lettres est abondante, largement redondante bien sûr, puisque La Tour du Pin raconte sa vie et sa poésie à des correspondants différents, qui le plus souvent ne se connaissent ou ne se fréquentent pas, sauf à l’intérieur de cercles restreints. Elles intéressent tout particulièrement l’historien littéraire pour les précieuses indications qu’elles recèlent dans les trois domaines les plus largement traités qui sont la vie quotidienne, la réflexion intellectuelle et spirituelle, et l’élaboration de la
Somme.
La vie quotidienne est au début (dans les lettres à Anne de Biéville par exemple) celle du jeune célibataire étudiant, obligé de suivre des cours de droit qui l’ennuient passablement, mais passionné par ce germe de poésie qui a éclos dans sa vie, et qu’il entretient avec la patience du jardinier et l’enthousiasme de la jeunesse. La famille n’est pas – ou peu – au courant : elle se moquerait probablement et ne comprendrait pas. Mais les amis sont là qui s’inquiètent de l’avancement du projet des
Anges sauvages (premier titre de
La Quête de Joie); Anne est très attentif. Patrice lui confie ses idées littéraires et son amour pour la nature - le Bignon par dessus tout - qui ensemence son imagination et son désir d’écrire. Avec Anne, il partage ses goûts pour la peinture italienne et flamande (et son projet, pendant un moment, d’entrer dans un atelier pour se former). La fréquentation, en compagnie de son ami, des grands maîtres de la peinture et de la littérature (Botticelli, Michel-Ange, Grünewald, Dante et Montaigne) le provoque à approfondir son travail personnel.
Biéville a publié une grande partie de la correspondance qu’il a reçue entre 1932 et 1946 dans son précieux livre sur Patrice de La Tour du Pin joliment sous-titré Document pour l’histoire de la littérature française. C’est une compilation de lettres qui donne une idée assez juste de la manière dont la première Somme a été écrite, composée comme une architecture d’une complexité croissante, puis se simplifiant, les divers éléments changeant souvent de place avant que le poète ne leur assigne une place définitive qui leur conférera un rôle précis dans son œuvre. Malheureusement ces lettres sont tronquées, sans date, et elles ne sont pas suffisamment replacées dans leur contexte. De plus, l’ami biographe a cru bien faire en transformant à la troisième personne (comme s’il prenait lui-même en charge l’énonciation) ce que le poète lui confiait à la première personne. Le résultat est étrange et le décalage, trompeur, car l’auteur mélange continuellement les deux registres. La lecture des quelque 150 lettres de La Tour du Pin à Biévielle remet les choses à leur juste place: on y découvre d’abord un jeune homme aux idées foisonnantes, puis un homme découvrant la vie au contact de la dure réalité de la guerre et de la captivité. Nulle part mieux que dans ces lettres où il écrit sans réserve, on ne voit combien le jeune poète, tout en gardant la maîtrise de son travail, se laisse guider aussi par le flot poétique qui s’empare de lui. S’il cherche à tout régenter dans son livre (cf. “D’un Roi”), à certains moments, il est clair que c’est le livre qui mène le jeu. Le “Guide-Anne” publié au printemps 1987 dans les Cahiers Bleus par Yves-Alain Favre est un précieux récapitulatif du travail de La Tour du Pin à l’époque du Premier jeu, tel qu’il apparaît aussi, de manière plus disséminée, dans sa correspondance. Il reste aujourd’hui à faire un recensement précis des informations que nous donne cette correspondance sur la genèse de la
Somme pendant et après
La Quête de Joie. Une édition critique de l’œuvre de La Tour du Pin devra obligatoirement passer par là. Nous nous contentons aujourd’hui de publier dans ce cahier quatre lettres de jeunesse (écrites entre 1932 et 1939) qui donneront une idée des différentes facettes de la personnalité du poète dans ces années où il mène son “jeu devant lui-même” pour construire l’homme qu’il est déjà.
Pendant ces mêmes années, La Tour du Pin établit une correspondance assidue avec Armand Guibert, éditeur et critique littéraire installé de l’autre côté de la Méditerranée. Les voyages sont moins faciles à cette époque – et La Tour du Pin demeure essentiellement un sédentaire – mais les relations épistolaires vont tisser à la longue une
confidence particulière aux deux hommes dont l’amitié et la complicité ne se démentiront jamais. Jean-Yves Debreuille étudie pour nous la première partie de la correspondance du poète avec celui qui est devenu très vite son éditeur et son ami.
Beaucoup plus tard, dans les années cinquante, Jacques Ferrand entrera en scène, avec une bonne dose de malice et la liberté du célibataire. Il devait rester toute sa vie le “grand-Chambellan-des-divertissements-du-Bignon”. Le poète alors est marié. Les enfants puis les petits-enfants naissent et perturbent quelque peu le travail du reclus. Jacques, lui, s’accroche à son célibat, qu’il revendique comme un trésor précieux, avec la liberté d’un esprit un tantinet voltairien - c’est du moins ce que lui reproche Patrice en plaisantant. On lira dans ce cahier une grande partie des lettres généreusement ouvertes par Jacques Ferrand aux amis de son ami, qui sont évidemment ses amis. Qu’il trouve ici l’expression de notre gratitude.
En contrepoint de cette longue confidence, une courte lettre de l’abbé Mugnier, que la cécité rendait incapable d’écrire sans truchement, vient faire entendre le témoignage émouvant d’un nouveau lecteur de la
Somme.
Enfin, pour enrichir ce dossier épistolaire, nous publions, avec l’aimable autorisation de Madame Colette Seghers, une lettre d’un autre genre, puisqu’il s’agit d’une lettre
publique, adressée à tous les “confidents” – que nous sommes – par le poète, à la fin du petit livre d’Eva Kushner publié chez Seghers en 1962. Ce texte était devenu difficile à trouver car l’édition en est épuisée. Nous pensons ainsi redonner un accès plus facile à cette “Lettre aux confidents”, pièce maîtresse pour la compréhension d’
Une Somme de poésie, qui propose une lecture rétrospective du poète sur son œuvre au moment où il aborde une troisième époque de sa vie.
Une deuxième partie de ce Cahier, beaucoup plus courte, ouvre des perspectives sur un thème très riche dans la
Somme, celui de la Vierge. Le concert donné à Notre-Dame de Paris en juin 1996, Comme un reflet, était déjà un “Office de la Vierge”. Marc Gsell et le père Joseph Gélineau ont fait pendant plusieurs mois un énorme travail de compilation dans l’ensemble des manuscrits inédits de La Tour du Pin sur les thèmes de la Vierge et du vierge. Un livre est prêt à être publié, attendant un éditeur intéressé. Patrick Piguet a lu ce manuscrit et l’a présenté lors d’une conférence faite devant l’assemblée générale des Amis de La Tour du Pin en juin 1997. C’est son texte que nous reproduisons ici, avec l’espoir que les pages magnifiques de La Tour du Pin sortiront un jour de la confidence où elles sont tenues aujourd’hui pour être données à lire au plus grand nombre.
Isabelle Renaud-Chamska
Présidente de la Société des Amis de Patrice de La Tour du Pin
N° 15 - 1999 - Noces
Sommaire
Maurice DELEFORGE : Le thème nuptial dans La Somme de poésie
Isabelle RENAUD-CHAMSKA : L’ordre nuptial
Luca PIETROMARCHI : Eros et connaissance dans La Quête de Joie
Un groupe d’«usagers» : Noces et alliance dans Le jeu de l’Homme devant les autres
Jacques GAUTHIER : Les Noces du monde d’Amour
Carnets de Route, extraits
Tobby GARFITT : Les « Noces de Cana » du Petit Théâtre crépusculaire
Patrice DE LA TOUR DU PIN : Lettre à des contemplatifs
S. Marie-Pierre FAURE : Réponse à Patrice : lettre à un contemplatif
S. Marie-Claire SACHOT, clarisse : Vivant souvenir : un témoignage…
S. Dominique ROUSSELET : Recevoir une lettre
F. Gilles BAUDRY : En réponse à la “lettre” de Patrice de La Tour du Pin
Germaine BERTHIER : Billet d’une amie
F. Bernard CHRISTOL : La « Lettre aux contemplatifs » de Patrice de La Tour du Pin (relecture sous un cyprès)
Toi qui désormais fais corps avec nous - Hymne pour le Jeudi Saint. Musique de Joseph Gelineau
Edito
Les noces
Le sujet est beau. Il brille comme une étoile dans le ciel de nuit de la Somme. Il nous attirait depuis longtemps mais, intimidés probablement par son éclat même et par l’émotion qu’il suscitait en nous, nous avions repoussé toujours l’heure de lui consacrer un des cahiers annuels de notre Société. Chacun cependant portait en lui la conviction – et certains y avaient déjà travaillé dans telle conférence ou publication – que ce thème des noces méritait d’être étudié pour lui-même, non comme l’un des aspects de l’œuvre, mais comme une sorte de macro-structure de la Somme, un point de vue qui permettait de saisir le sens de l’ensemble de l’œuvre, sans bien entendu prétendre l’épuiser.
C’est ainsi par exemple que Maurice Deleforge, dans une conférence donnée à notre association en 1982, avait annoncé d’emblée que la Somme de poésie est tout entière – et secrètement – nuptiale. Il reprend pour nous aujourd’hui cette intuition après la parution définitive de la Somme pour en donner une lecture approfondie et renouvelée. Ainsi, aussi, dans la biographie spirituelle de La Tour du Pin publiée en 1992, je montrais comment la Somme dans son ensemble est construite comme une liturgie d’alliance, engageant la parole et la vie du poète qui se construit et construit son écriture dans cette alliance. Poursuivant l’étude du thème de l’alliance que j’avais présentée dans le Cahier n° 13, je suis ici le thème des noces dans la Somme comme un fil rouge catalysant les dimensions cosmiques, poétiques et mystiques de l’œuvre.
Luca Pietromarchi donne ensuite un extrait de son livre sur La Quête de Joie – livre dont nous espérons ardemment la prochaine parution en français – où il établit les filiations littéraires du “cycle de Laurence” à partir d’une esthétique gidienne des premiers poèmes de La Tour du Pin. Claude Arnaud et son groupe nous offrent les fruits d’une lecture collective du Second Jeu qu’ils arpentent depuis longtemps, et qu’ils ont relu pour nous à la recherche du thème des noces. Jacques Gautier travaille sur le mariage et montre comment la prière de La Tour du Pin est inséparable de la vie conjugale du poète qui trouve elle-même sa source dans l’alliance avec Dieu. Toby Garfitt nous envoie une étude comparée des deux états successifs des “Noces de Cana”, une prose du Troisième jeu pour le temps de l’Epiphanie.
Nous avons pensé, enfin, – on pourrait, à première vue, trouver l’idée un peu paradoxale – solliciter des religieuses et des religieux sur ce thème des noces. On se souvient en effet qu’en 1974 La Tour du Pin avait été sollicité lui-même par les membres de la Commission francophone cistercienne pour préfacer un recueil de poèmes et d’hymnes qu’ils publiaient chez Desclée : La Nuit, le jour. Le titre est déjà nuptial. Cette Lettre à des contemplatifs – que nous republions dans ce cahier car elle est maintenant difficilement trouvable – appelait depuis vingt-cinq ans une réponse qui vient aujourd’hui sous une forme multiple : c’est une sorte de bouquet ou de vitrail dans lequel Sœur Marie-Pierre Faure, Sœur Marie-Claire Sachot, Sœur Dominique Rousselet, Frère Gilles Baudry, Madame Germaine Berthier et le Père Bernard Christol ont apporté chacun sa fleur ou sa pierre.
Le thème des noces est riche et trouve des harmoniques avec beaucoup d’autres, en particulier avec l’Incarnation et l’Eucharistie. Il nous a paru utile de le traiter pour aider ceux qui ne se sentent pas de plain-pied avec les préoccupations théologiques et spirituelles de La Tour du Pin mais qui peuvent être sensibles à sa conception de l’amour et du mariage, et à la place qu’il donne à la dimension charnelle de la vie. Dans un monde attiré par de nouvelles spiritualités souvent désincarnées pour lutter contre la violence faite au corps et le mépris dans lequel il est tenu par beaucoup, la lecture des poèmes d’amour de La Tour du Pin offre d’indéniables moments de bonheur, et cette secrète jubilation qui nous saisit lorsque pour un instant l’harmonie des sens donne accès à une nouvelle intelligence.
Isabelle Renaud-Chamska
Présidente de la Société des Amis de Patrice de la Tour du Pin
Didier Rimaud
Membre du Comité de direction
N° 16 - 2000 - Le temps
Sommaire
Présentation de textes inédits de Patrice de La Tour du Pin
Textes inédits
Isabelle RENAUD-CHAMSKA : Temps et eschatologie chez Patrice de La Tour du Pin
Toby GARFITT : Petite taupologie du temps
Patrice PIGUET : Les Psaumes de tous mes temps ou l’Avent de la Poésie
Eryck de RUBERCY : Quand Patrice de La Tour du Pin traduisait Hans Carossa
Marie-José LE HAN : Une herméneutique de l’invisible
Philippe BÉGUERIE : La Tour du Pin et la réforme liturgique
Edito
Le temps
Nous aurions dû nous méfier des mots. Nous étions tous pourtant assez alertés sur leur pouvoir. Pourquoi donc n’avons-nous pas songé au danger de nous engouffrer dans un vocable tellement polysémique ?
Nous voulions traiter du temps dans la Somme, happés comme tout un chacun par la force symbolique de l'an 2000, et nous tenant volontairement loin des querelles savantes sur le moment exact concernant le changement de millénaire. Car si les Psaumes de tous mes temps demeuraient de tous les temps, donc aussi du temps à venir, André Vincentenaire, lui, l’homme du vingtième siècle, entrait définitivement dans un autre temps. Il était temps, donc, de proposer dans ce cahier quelques pistes d'approche du thème du temps dans la Somme, tant la composante du temps y est forte et prégnante. Temps de la légende et du récit, temps du poème avec ses rythmes : la diastole et la systole battent la mesure du cœur de la Somme, comme la valse à deux temps du Petit théâtre crépusculaire. Temps linéaire de la narration, temps cyclique des saisons et de la liturgie, temps orienté d’une œuvre élaborée et développée à partir d'un projet précis. On touche au temps par tous les bouts quand on met le nez dans la Somme.
Mais le temps nous a rattrapés par où nous ne l’attendions pas, le mauvais temps, et frappés dans ce qui tenait peut-être le plus au cœur du poète, et partant, à tous les lecteurs de la Somme : les arbres du Bignon. La tempête a soufflé et ravagé le parc et les bois du Bignon, ceux que Patrice aimait et qui tiennent une place si importante dans son œuvre, ces confidents de la première heure à qui il confie son projet et son œuvre de jeune poète « Arbres, mes confidents, … je mets un monde à l'essor ». Le parc planté à la fin du XIXe siècle par le célèbre paysagiste Duchesne est aujourd'hui ravagé par la tempête du 26 décembre. Autour de la maison gisent le tremble qui faisait sa musique, le hêtre pourpre aux teintes éclatantes, le cèdre royal, le noyer d’amérique tout doré en automne, le thuya aux multiples troncs dans lesquels se cachaient les enfants. Connaissant le même sort que l’Allée de paradis, plantée de charmes, disparue depuis la tempête de 1990, les quelques autres allées, de chênes surtout, qui faisaient du bois un parc composé, ont disparu à leur tour. On estime que 4000 à 5000 arbres sont tombés dans les bois du Bignon en quelques instants.
La Somme connaît cette sorte de violence naturelle et y fait souvent écho. Depuis les grandes inondations des « Laveuses » dans La Quête de Joie, jusqu’à ces “tempêtes de printemps” qui laissent l'homme pantois en découvrant la violence de son désir. Elle associe souvent la tempête au passage des anges. Mais pour humaniser cette violence intime et structurelle, le Poète ordonne le cosmos à une autre logique, un travail, une naissance, ce que les accoucheurs appellent une délivrance. Et que d’autres nomment espérance.
C’est pourquoi, en hommage à tous les jardiniers qui pleurent les arbres abattus par la tempête et qui sèment aujourd’hui pour les temps et les générations à venir, nous voudrions ouvrir ce cahier de l’an 2000 avec ce très beau poème du Premier jeu qui conjugue l’amour des arbres et celui du chant. On n’aura pas de mal à reconnaître en filigrane la figure du poète qui nous accueille ici au seuil du troisième millénaire.
IIIe cérémonie
Il était de ceux-là qui plantent des forêts
Pour la splendeur de vivre,
Et d’élever l’aride, et l’étale, et le muet
À la hauteur où le vent les délivre !
Ah ! l’honneur de dresser
Ce qui attaque et se défend et chante,
Domine lentement la terre indifférente,
Prend sa voix et sa destinée,
Prend sa palpitation, son essor et son vol…
Et cette gloire à la fin de son temps
De s’être exprimé, lui que sa grandeur isole,
Par toute une forêt d’arbres adolescents
Et non par de vaines paroles…
Une Somme de poésie I
Le Jeu de l’homme en lui-même p. 463
Isabelle Renaud-Chamska
Présidente de la Société des Amis de Patrice de la Tour du Pin
N° 17 - 2001 - Actes du colloque Création poétique et mystère pascal
Sommaire
Yves LEROUX : Ouverture du colloque
Marie-Josette LE HAN : Création poétique et expérience du passage
Jacques SYS : Les horizons de La Quête de joie : forme poétique et quête de l’intégrité perdue
Lecture de poèmes par Jany Balaidier : 1. Le lac d’Undeneur; 2. Psaume 34 ; 3. Vierge à l’enfant; 4. L’affût
Isabelle RENAUD-CHAMSKA : Le vierge et la voix dans Une Somme de poésie
Jean-Yves HAMELINE : Esquisses sonores et bribes de conversation
Lecture de psaumes par Brigitte Gueras et Isabelle Renaud-Chamska
Toby GARFITT : « Ta mort en moi, c’est ma genèse » : création et mystère pascal dans le Deuxième Jeu
Luca PIETROMARCHI : Le Christ souriant de La Quête de joie
Patrick PIGUET : Le passage de la mer Rouge dans les Psaumes de tous mes temps
Didier RIMAUD : « Le Christ prévient l’ère nuptiale » Avec en annexe : quelques « semis » du début du poème Échange entre Didier Rimaud et Jean-Yves Hameline
Patrick PRÉTOT : Relire Patrice de La Tour du Pin trente ans après la réforme liturgique : témoignage d’un moine.
Messe du premier dimanche de l’Avent à Saint-Ignace
Didier RIMAUD : Homélie de la messe du 2 décembre 2000
Hymne après la communion
Chants de la messe : Pitié pour nous ; Dieu libre et saint ; Toi qui désormais.
Texte : Patrice de La Tour du Pin, musique de Joseph Gélineau
En hommage au père Hamman
Edito
Actes du colloque « Création poétique et mystère pascal » :
“Il avait eu la grâce d’être de soleil”
Né au printemps 1911, à l’époque où les rivières sont en crues, Patrice de La Tour du Pin est mort à l’automne 1975, la veille de la Toussaint, quand les jardins flamboient de couleurs éclatantes. Sa vie s’inscrit entre le signe natif de l’eau, l’eau qui dort de la contemplation – on pense ici au personnage d’Undeneur –, ou l’eau des torrents qui dévale avec tous les « quêteurs de joie » courant sur les chemins, et le signe du feu, de cette passion du Verbe qui l’habitait et à laquelle il s’est adonné, ou plutôt consacré, toute son existence. L’image des marais avec leurs fièvres inexplicables, image si prégnante dans les premiers poèmes, dit déjà cette curieuse alchimie de l’eau et du feu à l’œuvre dans la sensibilité poétique de La Tour du Pin.
Or ce qui frappait le poète dans sa méditation amoureuse sur le Christ, c’est que, contredisant les lois naturelles des saisons, le Christ, né au creux de l’hiver, était mort, encore très jeune, au printemps : “Et la pâque d’avril de Dieu né en hiver”. Ce paradoxe signifiait le retournement indispensable à qui veut passer à travers la mort jusque dans la vie.
Au moment de célébrer le vingt-cinquième anniversaire de la mort de La Tour du Pin, nous avons souhaité évoquer la mémoire du poète en relisant Une Somme de poésie au croisement de ces deux logiques que tisse le livre à l’infini de leurs potentialités: la création poétique et le mystère pascal, non comme deux réalités distinctes qui pourraient faire nombre ou s’opposer, mais comme les deux faces d’une même réalité, celle de la vie et de la mort d’un homme qui n’était qu’un homme parmi d’autres (“Je ne suis qu’un de nous les hommes”) mais qui se savait investi d’une mission personnelle qu’il a assumée jusqu’au bout: “Dire le lever du matin, / Et qu’il se lève”.
Si le thème de Pâques est essentiel, surtout dans le Troisième jeu mais aussi dès le Premier jeu, l’écriture poétique dans la Somme est elle-même pascale non seulement parce qu’elle accepte de mourir à elle-même pour renaître en l’Autre (c’est toute l’épreuve du Second jeu), mais peut-être surtout en ce qu’elle se prête à des passages continuels, dans la matière même des signifiants phoniques et des réseaux métaphoriques, de l’un à l’autre aspects contradictoires de la réalité humaine, cette réalité paradoxale de la nuit et du jour, de la mort et de la vie, dans laquelle et pour laquelle la poésie se fait nuptiale.
On a remarqué depuis longtemps combien le processus du passage était fondateur et structurel dans la poétique de la Somme. On sait La Tour du Pin chasseur depuis son enfance, fasciné par ces oiseaux de passage qui sillonnent le ciel de son pays natal, et par les layons frayés dans les bois par les animaux sauvages. Toute la rêverie de La Quête de Joie se trouve enracinée là. On ne s’étonnera donc pas de l’importance des mots liés au passage, “pas”, “passer”, “passée”, “passe”, et “Pâque”, justement. Il y a quelque chose d’éminemment mobile dans l’imaginaire de La Tour du Pin, qui s’inscrit jusque dans la chair et le sang des mots qu’il emploie et met en œuvre. Ce n’est pas pour rien si le “Petit Théâtre crépusculaire”, avec ses passages réguliers de la prose, plus triviale, au lyrisme des poèmes, est présenté par le poète comme “un pas de danse”. L’écriture de la Somme est souple, fluide : dans sa liquidité même, elle épouse au plus juste le souffle qui lui donne naissance et qui attise le feu de l’esprit.
On trouvera ici les actes du colloque qui s’est tenu le 2 décembre 2000 au Centre Sèvres à Paris. Généreusement et amicalement invitée par la communauté universitaire jésuite de Paris, la Société des Amis de Patrice de La Tour du Pin a convié tous ceux qui le souhaitaient (plus d’une centaine de personnes a pu participer à la rencontre) à une découverte ou à un approfondissement de la Somme de poésie. Trois conférences le matin, entrecoupées de la lecture de quelques poèmes ; deux conférences l’après-midi avec quatre ateliers au choix pour un contact plus personnel avec les textes et avec les conférenciers. La messe du premier dimanche de l’Avent célébrée à l’église Saint-Ignace a permis d’entendre un grand nombre de textes de La Tour du Pin, dont certains avaient été mis en musique par Joseph Gélineau tout exprès pour cette célébration. On trouvera les textes et les musiques en dernière partie de ce cahier avec l’homélie de Didier Rimaud.
Enfin, nous avons eu la joie de voir publier ce jour-là le disque compact “Comme un reflet”, Office de la Vierge de la Somme de poésie mis en musique par Christian Villeneuve, exécuté en enregistré à Notre-Dame de Paris en 1996.
Si Patrice de La Tour du Pin est mort il y a vingt-cinq ans, son œuvre poétique est toujours à découvrir dans le jaillissement de sa naissance comme dans la profondeur de sa maturité.
Isabelle Renaud-Chamska
Présidente de la Société des Amis de Patrice de la Tour du Pin
N° 18 - 2002 - Correspondances-3
Sommaire
Isabelle RENAUD-CHAMSKA : La correspondance avec Jean Baudry
Lettres de Patrice de La Tour du Pin à Jean Baudry
Emmanuel DE CALAN : Jean de Frotté
Lettres de Patrice de La Tour du Pin à Jean de Frotté (1943-1944)
Lettres de Jean de Frotté à Patrice de La Tour du Pin
Extraits de l’ouvrage de Jean de Frotté : Le Sculpteur de son espérance
Tombeau de Jean
Lettres de Patrice de La Tour du Pin à Edouard de Frotté
Marie-Josette LE HAN : Avec Michel du Boisberranger, une correspondance « théopoétique » Lettres de Patrice de La Tour du Pin à Michel du Boisberranger
Patrick PIGUET : La correspondance avec Louis-René des Forêts
Lettres de Patrice de La Tour du Pin à Louis-René des Forêts
SŒUR CLAIRE de Pradines : « Petite vierge fiancée »
Les Anges sauvages de Luca Pietromarchi
Isabelle RENAUD-CHAMSKA : « De la légende à la louange »
Edito
Correspondance avec Jean Baudry, Jean et Edouard de Frotté,
Michel du Boisbéranger, Louis-René des Forêts
En octobre 1995, dans le Cahier n° 12, et en mars 1998 dans le Cahier n° 14, nous présentions plusieurs ensembles épistolaires importants pour donner une idée de la richesse de la correspondance de Patrice de La Tour du Pin avec sa sœur Phylis ou avec des hommes – en chacun de qui il reconnaissait un ami – aussi divers qu’Armand Guibert ou Louis-René des Forêts, Didier Rimaud ou Jean-Marie Sintillan. Les lettres à Jacques Ferrand faisaient l’objet d’une publication in extenso pour la période 1965-1975. Le travail littéraire et la vie affective du poète devenaient pour ainsi dire palpables pour chacun de ses lecteurs.
Nous poursuivons aujourd’hui notre projet de donner accès aux lettres de Patrice de La Tour du Pin dans toute leur richesse et leur spontanéité. Réservant les cent cinquante lettres à Biéville-Noyant pour une prochaine livraison de ce Cahier, nous proposons ici la lecture de cinquante cinq lettres à Jean Baudry, critique d’art et éditeur, envoyées entre 1934 et 1946 ; dix lettres à Jean de Frotté, le “petit frère” et jeune poète tant aimé, entre 1943 et 1944 ; quatre lettres à Edouard de Frotté après la mort de Jean, tué pendant la guerre par les Allemands, entre 1947 et 1951 ; dix-huit lettres à Michel du Boisbéranger, l’ami de toujours, entre 1935 et 1946, et dix lettres à Louis-René des Forêts avec qui Patrice partageait les soucis de son “métier” de poète, entre 1944 et 1948.
C’est donc la première période de la vie du poète que l’on trouvera in vivo dans les pages qui suivent. L’essentiel tourne autour de l’élaboration de la Somme de poésie qui sera publiée en 1946, mais on verra qu’il n’y a pas de solution de continuité avec la suite, puisque la “Somme II” est en gestation dès avant la publication de la “Somme I”. Les lecteurs d’Une Somme de poésie découvriront avec émotion le patient travail d’un homme tout entier donné à une seule œuvre : sa poésie, et au cadre qui la voit naître : Le Bignon. Ils constateront que la prose tenait une place importante dans la vie de ce poète. Tout est en effet très prosaïque dans ces lettres, depuis les soucis domestiques courants, jusqu’à l’angoisse de nourrir ou de chauffer les amis pendant la guerre, depuis l’inquiétude de faire parvenir le courrier quand plus rien ne fonctionne, jusqu’à la rage d’être bloqué à la caserne par la visite imprévue d’un général. La vie et la mort se côtoient au quotidien. Le tragique n’est jamais appuyé, mais le comique est monté en épingle, comme s’il était important de ne pas se laisser aller, et de poursuivre sans relâche l’effort de vivre. Il y a là une sorte de complémentarité inattendue avec l’œuvre poétique en train de se faire par derrière, un contre-feu, peut-être, un équilibre salutaire, certainement. Autant la poésie est mesurée, contrainte par le rythme du vers, autant la prose épistolaire semble libre, abandonnée parfois, même lorsqu’elle est adressée à des hommes de lettres, critiques ou poètes eux-mêmes. Cette complémentarité deviendra une dimension esthétique dans l’ensemble de la Somme puisque chacun des trois Jeux introduira des “lettres” entre les poèmes, et que le Petit Théâtre crépusculaire en fera le principe structurel du recueil en laissant alterner systématiquement les poèmes et les proses, et en théorisant clairement cette démarche : “un pas sur deux, servir d’interprète”. La question est de savoir jusqu’à quel point la prose explique le poème, et si elle n’a pas pour effet, au contraire, de redoubler l’étrangeté du poème en mettant l’accent sur des décalages irréductibles, et en nous forçant à nous placer devant le poème comme devant un objet, pour nous laisser questionner par lui.
Les correspondants n’apparaîtront malheureusement que très peu pour donner la réplique au poète. Nous publions cependant quelques lettres de Jean de Frotté, au talent prometteur mais trop tôt disparu, ainsi que quelques pages de son livre paru à titre posthume. Et, en épilogue, nous donnons la parole à une jeune bénédictine qui n’a jamais connu La Tour du Pin mais qui le fréquente quotidiennement à l’office, et qui synthétisera pour nous les figures des correspondants présents dans ces pages comme en ombre chinoise, et des lecteurs confidents que nous sommes.
Isabelle Renaud-Chamska
Présidente de la Société des Amis de Patrice de La Tour du Pin
N° 19 - 2003 - Correspondances-4
Sommaire
Isabelle RENAUD-CHAMSKA : Anne-Henri de Bieville-Noyant, correspondant et confident de Patrice de La Tour du Pin
Lettres à Anne de Bieville
Fac-simile de la lettre d’André Gide du 1er décembre
Le Guide Anne
CLAUDE ARNAUD : Jacques Ferrand, portrait d’un confident
Edito
Lettres à Anne-Henri de Biéville-Noyant entre 1931 et 1946
En juin 2002, la Société des Amis de Patrice de La Tour du Pin publiait un troisième Cahier consacré à la correspondance du poète. Elle annonçait aussi la publication des lettres de La Tour du Pin à son ami Anne-Henri de Biéville-Noyant, correspondance dont le contenu est assez bien connu depuis la publication de la précieuse biographie de La Tour du Pin par son ami en 1948, mais qui était restée presque entièrement inédite. C’est aujourd’hui chose faite avec ce quatrième Cahier que nous proposons aux adhérents de l’association et aux lecteurs de La Tour du Pin, à ceux surtout qui s’intéressent à l’élaboration d’Une Somme de poésie publiée en 1946, qu’on appelle aujourd’hui “la vieille Somme” ou “la première Somme” et qui est devenue en 1981, après de nombreux remaniements, le Premier jeu d’Une Somme de Poésie.
Déjà le Cahier 18, l’an dernier, donnait lecture des lettres à Jean Baudry, critique littéraire et ami de Patrice, et à quelques autres amis très anciens comme Michel du Boisbéranger ou Jean de Frotté, pour nous permettre d’entrer le mieux possible dans l’extraordinaire travail de genèse de la première Somme. Avec les lettres à Anne de Biéville, un grand pas est franchi dans cette approche, et le lecteur sera émerveillé de se retrouver comme au cœur du travail poétique. Le lent et passionnant défrichage que nous avons mené dans ce nouveau corpus épistolaire nous mène sur les gisements mêmes de la matière poétique quand elle se mélange encore au quotidien, à la vie. Il reste encore beaucoup d’obscurités, et ces mines sont souvent difficiles à exploiter. Mais, entrant en composition avec d’autres sources d’information, elles constituent un inestimable trésor pour la compréhension du travail poétique de Patrice de La Tour du Pin et pour l’intelligence de l’architecture et de la construction de la Somme.
Anne-Henri de Biéville-Noyant, correspondant et confident
Ils avaient sensiblement le même âge, et s’étaient connus à 18 ans, pendant leurs études, peut-être déjà à Janson-de-Sailly où Patrice fit sa philosophie, ou bien ensuite alors qu’ils étaient étudiants en Droit et en Lettres à la Sorbonne. Des amis communs les avaient présentés alors qu’ils se promenaient avenue du Bois à Paris. Ensuite leur fréquentation commune de l’Institut des Sciences politiques, rue Saint-Guillaume, entre 1930 et 1933, et leur fréquentation beaucoup plus assidue des salles de cinéma et des bouquinistes les avaient rendus inséparables. Anne était encore auprès de Patrice sur son lit de mort en octobre 1975, ne l’ayant jamais vraiment quitté.
Au moment où nous entrons comme par effraction dans la correspondance entre les deux jeunes gens, en 1931, Patrice a juste vingt ans, et il ne semble pas qu’ils se connaissent intimement depuis très longtemps, car Patrice s’amuse à décrire le Bignon à son ami. Cette amitié pourtant a été très fulgurante, et elle ne se démentira jamais. Mis à part leurs amis, ils ont un certain nombre de points communs, appartenant au même milieu, quoique Patrice habite sur la rive droite de la Seine, puis de plus en plus au Bignon, alors qu’Anne est un homme de la rive gauche. Mais le plus important, c’est cette place de choix qu’Anne va prendre, avec la complicité enthousiaste de Patrice, dans la publication de La Quête de Joie d’abord, puis dans l’élaboration d’Une Somme de poésie.
La Quête n’est pas terminée lorsque commence leur correspondance. Son titre lui-même n’est pas assuré : Patrice a pensé d’abord l’appeler “Les Anges sauvages”. Anne se trouve être le seul dans l’environnement immédiat du jeune poète à s’intéresser de près à l’activité littéraire de son ami. La famille considère la poésie au mieux comme un aimable passe-temps ; les autres amis, même les anciens condisciples de Janson pour l’intelligence de qui Patrice a une grande admiration, ne s’intéressent pas beaucoup à la poésie. Anne va jouer les grands frères, prodiguant des conseils, relisant, encourageant, critiquant au besoin, et surtout ouvrant Patrice à toute une culture artistique, autant picturale que musicale, le stimulant dans sa recherche personnelle, partageant avec lui découvertes et lectures. La période qui va d’août 1931 à septembre 1932 est une année magique, au sortir de l’adolescence, avant l’ennui du service militaire et les responsabilités de l’âge adulte : elle sera déclarée après coup par Anne “la seule année digne d’avoir été vécue”. C’est un moment particulièrement heureux, d’une forte amitié qui se construit dans la profondeur et l’admiration réciproque. Anne est probablement le plus âgé, ou du moins le plus sérieux des deux, puisqu’il prête à Patrice ses cours de droit pour qu’il prépare l’examen de Sciences-Po. Mais ils sont incorporables dans l’armée en même temps, à une année de sursis près. Anne fait découvrir Botticelli et Grünewald à Patrice pour qui le voyage estival annuel avec sa mère – qui d’habitude l’ennuie passablement - prend tout à coup un relief particulier devant la statue de saint Etienne à Chartres. Les conversations théologiques occupent aussi beaucoup les deux amis, Patrice, en bon catholique, se découvrant très vite passionné de liturgie avec la lecture de Dom Cabrol et de Guardini, Anne, en protestant rigoureux, s’attachant à la lecture et à l’interprétation de la Bible. L’existence de l’enfer, via La Divine Comédie de Dante illustrée par Botticelli, est une source inépuisable de débat. Ils partagent leurs impressions de lecture et leurs découvertes philosophiques en plus de leurs émois artistiques, encore qu’Anne, esthète raffiné, ne se laisse pas souvent aller à l’émotion qu’il juge romantique et ridicule.
Anne est mondain alors que Patrice ne l’est pas. Cultivé et élégant, il est déjà l’ami du tout-Paris, que plus tard il recevra dans son hôtel particulier, 17 rue du Cherche-Midi, célèbre à la fois par sa bibliothèque et par son jardin, sa table et son mobilier. La légende, rapportée par Jacques Ferrand, lui attribuera la possession de quarante commodes anciennes, toutes signées. C’est un homme très mince, avec un long nez, des yeux et des cheveux noirs, et une allure à la fois désinvolte et triomphante, au point qu’on l’a parfois surnommé “Biéville-Voyant”. Très vite il a compris la valeur de la poésie de son ami et se démène auprès des gens influents qu’il connaît pour faire lire les “Enfants de Septembre” et publier dans toutes sortes de revues les autres poèmes extraits de “La Quête de Joie” avant la publication du recueil aux éditions de La Tortue. Homme de communication avant l’heure, c’est lui qui a l’idée de demander au peintre Tchelitchev de faire le portrait de Patrice pour accompagner la publication de La Quête de Joie. Julien Green, que Patrice rencontrera chez Anne le 19 novembre 1945, écrit de lui : « Ce n’est pas tout à fait l’homme que nous a fait voir le peintre Tchelitchev, mais le beau regard des yeux clairs est toujours le même, et il y a dans ce visage resté jeune quelque chose que le seul mot de rayonnement pourrait rendre. La douceur du sourire, la simplicité admirable de la parole et du geste, et ce je ne sais quoi de lumineux qui est intraduisible m’ont fait penser à Jacques Maritain. » Ce portrait à la sanguine restera l’image de référence du poète pendant toute sa carrière littéraire et bien après la mort des deux hommes. C’est elle qui ouvre encore aujourd’hui nos Cahiers.
Ce qu’il y a de plus remarquable chez Anne est sa culture encyclopédique. Il accumule les diplômes : Sciences Po, la faculté de Droit, la faculté des Lettres, les Etudes coloniales, Oxford … Il aime la musique, celle de Mozart, surtout, la peinture et la sculpture, s’adonne à l’herboristerie et, lauréat de la Société de Géographie, il partira en mission pour la Sardaigne. Ses relations nombreuses et ses qualités personnelles lui donneront aussi un rôle diplomatique pendant la guerre et il se retrouvera plus tard fondé de pouvoir au Crédit lyonnais. Il a tout lu, sait tout, et tient sans doute de sa mère originaire du canton de Bern, en Suisse, un zèle pédagogique admirable pour faire partager à ses amis ses découvertes et ses enthousiasmes.
Les deux jeunes gens s’écrivent surtout parce qu’Anne, dans son éclectisme, est un grand voyageur. Sinon, le “téléphonage”, comme on dit à l’époque, aurait suffi. Ses lettres viennent de Berlin, de Prague, de Salzburg, de Münich, de Venise, d’Oxford. Il dessine les œuvres qu’il voit dans les musées, adore l’opéra, s’intéresse aux villes où il séjourne, avec une prédilection pour Venise et Florence. Patrice pendant ce temps écrit et raconte à son ami la lente élaboration de la Somme.
Conscient mieux qu’un autre du rôle tout à fait privilégié qu’il aura joué dans l’élaboration de ce livre, Biéville prend la peine, à Noël 1946, d’écrire ce qu’il a pu observer sur le travail de son ami depuis quinze ans. Il publie en 1948 aux éditions de la Nouvelle Revue Critique un “document pour l’histoire littéraire de la France” à partir de ses souvenirs et des lettres de Patrice qu’il a pieusement conservées. Discrètement, il ne veut pas se mettre trop directement en avant, et il transcrit bizarrement à la troisième personne des passages entiers de lettres qui lui ont été adressées, ce qui donne souvent un résultat pour le moins curieux, à la limite de l’intelligible. On s’en rendra vite compte en mettant en regard les lettres publiées ici et la transcription le plus souvent littérale qu’en fait Biéville dans son livre.
« Je deviendrais encore plus égoïste, écrit Patrice en septembre 1932, s’il n’y avait à Florence un cœur ami qui bat la joie et pense à moi et s’intéresse si intelligemment et qui me comble de lettres passionnantes ». Dans une note biographique conservée au Bignon, Patrice écrit : « Je m’ouvrais de mes projets [la publication de La Quête de Joie] à mes amis confidents … à Anne-Henri de Biéville, cet étrange mélange de grandeur et de scepticisme, d’acuité intellectuelle et de comédie, de tendresse et d’esprit critique cruel, d’ambition et de masochisme, qui n’aurait pas dû me comprendre à cause de mes goûts pour la campagne et pour la poésie, et qui pourtant fut mon plus proche confident. Ce fut lui qui m’initia à Montaigne, et dans l’ensemble, aux grands écrivains, aux grands peintres, à la grandeur – lui le protestant qui m’offrit la Somme de saint Thomas d’Aquin – et à qui je m’ouvrais le plus facilement de mes projets déjà ambitieux. »
La présence tutélaire d’Anne est reconnue et célébrée par Patrice jusque dans Une Somme de Poésie, en particulier au début de “Thème” qui deviendra “Enfances” dans l’édition définitive. Le nom de l’ami n’est pas cité, tant sa présence est diffuse dans le Poème, dès le seuil:
“Et toi qui fus l’autre seigneur
Habituel de mon domaine
Et le savais presque par cœur,
Tu disais ta mélancolie
Et moi j’y mélangeais la mienne
Pour te donner une accalmie.”
Cette strophe est devenue dans l’édition de 1981 :
“Et toi qui m’ouvrais le domaine
Mélancolique de ton cœur
Sans espoir d’y trouver la vie,
Quand montait ta mélancolie
Je l’épousais avec la mienne,
Et l’ombre en devenait amie.”
Leur amitié littéraire et leur correspondance s’étendront jusqu’à la mort de Patrice en 1975. Nous retrouvons Anne dans le poème final de la Somme, “Thème”, devenu sans changement “Fin d’enfances” dans l’édition de 1981 :
“Anne angoissé déjà par l’amitié
Et la cherchant de collège en collège
Dans son excellence et sa primauté,
Était là, veillant mon départ de Somme,
Si loin de moi, qui fuis le parc aux hommes,
Si près de moi, et comment le dirais-je ?
Anne aquilin, qui ranime la faim
D’intelligence, et pare les autels
De lui-même, et voudrait tout parfaire,
Anne, qui donne aux académiciens
Le jour de Pâques un sapin de Noël,
Anne trop seul, que tant quittèrent …”
Nous donnons ici lecture des lettres de Patrice à Anne de Biéville entre 1931 et 1946, date de la publication d’Une Somme de poésie. Plus de cent vingt lettres en tout sur quinze ans. Nous n’avons pas les enveloppes, mais les lettres indiquent souvent, quoique malheureusement pas toujours, une date de réception, au moins approximative, Anne ayant pris soin de l’écrire, peut-être pas systématiquement au fur et à mesure de leur réception, mais au moins au moment de rédiger son livre sur Patrice en 1946. Et surtout, chose encore plus rare, nous pouvons disposer de certaines lettres d’Anne, toujours très intéressantes, que Patrice a gardées, et retrouvées après la guerre. La publication de ces lettres en regard des autres aurait été passionnante, mais aurait rendu ce cahier trop volumineux. Je me suis contentée d’indiquer en notes les éléments extraits des lettres d’Anne qui permettent une meilleure intelligence des lettres de Patrice. Enfin, je précise que cette édition n’aurait pas été possible sans tout le précieux travail de Chantal de Bertout qui a bien voulu saisir cette correspondance, dans tous les sens du terme tant sa transcription fut le fruit d’une lecture intelligente et patiente.
Ce Cahier vient accompagner le colloque universitaire consacré à La Quête de Joie qui, publiée en 1933, atteint, en 2003, l’âge canonique de soixante-dix ans. Les jolies femmes n’avouent pas leur âge, dit-on, sauf quand elles ont le sentiment de paraître encore jeunes. La Quête de Joie est de celles-là, et c’est une fête qu’on lui prépare, dans une confidentialité largement partagée. Puisse ce Cahier participer, à sa manière, à l’intérêt de cette rencontre exceptionnelle.
Isabelle Renaud-Chamska
Présidente de la Société des Amis de Patrice de La Tour du Pin
N° 20 - 2005 - Correspondances-5
Sommaire
Isabelle RENAUD-CHAMSKA : Entre le mot et l’image, l’espace de la légèreté
Pages extraites du Livre de Château
Lettres de Patrice de La Tour du Pin à Jacques Ferrand (1950-1965)
En encart : Extraits du programme réalisé pour « Catherine Aulnaie » au théâtre de poche, en juin 1956 ;
textes d’Albert Camus et Patrice de La Tour du Pin, distribution des comédiens.
Suite de la correspondance
« Jacques le Polisson s’expose » Illustrations de Jacques Ferrand, texte de Patrice de La Tour du Pin.
Edito
Entre le mot et l’image, l’espace de la légèreté : correspondance avec Jacques Ferrand entre 1950 et 1965
La correspondance de Patrice de La Tour du Pin avec son ami Jacques Ferrand revêt un caractère tout à fait particulier qui éclaire d’un jour unique la personnalité du poète. Déjà la publication de la seconde partie de cette correspondance, celle qui s’écoule de 1965 à 1975, dans notre Cahier 14, en 1998, nous avait révélé la figure d’un homme très différent du stéréotype véhiculé dans les histoires de la littérature. Depuis, la publication des lettres de La Tour du Pin avec Jean Baudry, Louis-René des Forêts, Jean et Edouard de Frotté, Michel du Boisbéranger, et Anne de Biéville-Noyant dans nos Cahiers 18 (2002) et 19 (2003) a considérablement enrichi le portrait que nous pouvons nous faire aujourd’hui du poète, l’intelligence que nous avons de ses relations avec son œuvre faite et à faire, dans son travail quotidien d’écriture, ses relations aux autres, à la nature, aux événements. Le Cahier 12, publié en 1995, donnait pour sa part de larges échos à la très riche correspondance avec Armand Guibert, Didier Rimaud, sa sœur Phylis et Jean-Marie Saintillan, permettant une découverte savoureuse du poète dans la réalité humaine et esthétique qui était la sienne, et ouvrant à une meilleure intelligence d’Une Somme de poésie. La correspondance avec Jacques Ferrand dont nous publions aujourd’hui la première partie, qui s’étend entre 1950 et 1965, a une couleur et une saveur qui n’appartiennent qu’à elle et qu’on retrouvera avec un plaisir toujours aussi vif. Elles devraient aussi acquérir un relief particulier après la lecture des autres correspondances.
En ouvrant ce Cahier 20, il ne faut pas attendre des révélations fracassantes sur l’art poétique de La Tour du Pin ou des lumières inédites sur la genèse de son œuvre. D’autres correspondants comme Anne de Biéville ou Armand Guibert sont mieux placés pour nous renvoyer cette lumière-là. Mais, outre le fait qu’on peut y trouver, au détour d’une phrase, des éléments tout à faits éclairants pour l’intelligence de l’œuvre (c’est le cas, par exemple, de la lettre 96 du 25 octobre 1955), on y voit se déployer au fil des pages une dimension fondamentale et structurelle du génie propre de La Tour du Pin : son sens de la légèreté. La relation amicale avec Jacques Ferrand qui a duré 25 ans, jusqu’à la mort de Patrice, s’est nourrie de la complicité artistique des deux hommes, l’un s’ébattant dans le domaine des mots, l’autre dans celui des images, mais chacun labourant aussi bien le champ de l’autre : Patrice, avec son goût pour les images de toutes sortes, en particulier les gravures dont il fait collection depuis sa jeunesse, voit les images de sa poésie entrer en échos profonds avec les images du dessinateur, coloriste et humoriste qu’est Jacques Ferrand. Jacques avec son goût des mots, surtout ceux qui se prêtent aux jeux infinis du calembour, du rebus, et de toutes les calembredaines, aime ces joutes verbales où le double sens de lecture abolit les dogmatismes et les poncifs. Il faut souligner aussi que, si Jacques est un citadin invétéré, il a un talent avéré pour la composition des bouquets et rejoint Patrice dans son goût profond pour la nature. C’est ainsi que les deux complices se sont retrouvés entraînés un matin de l’hiver 1956 dans une curieuse aventure, celle de la « Pépinière de sapins de Noël ». Coincés pendant trois jours par –17° dans la bibliothèque du Bignon, réfugiés auprès du poêle, seul endroit un peu hospitalier dans une maison glaciale, leur verve se déchaîne, excitée par l’idée de créer ensemble des poèmes-images : non pas des calligrammes, mais des images qui sont des poèmes et, en regard, des poèmes qui leur font écho et font images à leur tour. Les deux amis réalisent ainsi avec chaque “sapin” une idée commune, chacun selon son ordre de création, dans la double forme du dessin et du poème, comme les enfants se tiennent par la barbichette. L’éclat de rire est assuré.
Jacques est donc un homme léger, sans attaches et sans lourdeurs, avec qui on peut rire. Patrice aime ça. D’un rire léger, un rire perlé, qu’on entend à peine, mais qui libère chez lui des énergies salutaires, comme une grande bouffée d’oxygène où il reprend son souffle dans le désert du Second jeu. Car, et ce n’est pas la moindre surprise dans la découverte à laquelle nous invite ce Cahier, on n’oubliera pas en lisant ces pages où il n’est question que de facéties, d’amabilités, de taquineries, de farces ou d’histoires plus grivoises, que le Second jeu est en plein travail pendant ces années cinquante : il occupe Patrice tous les matins, apportant son lot quotidien de difficultés, et si peu de gratifications ! Dans la crise de l’écriture que traverse le poète mûrissant, la correspondance avec Jacques Ferrand témoigne de la permanence de cette dimension ludique qui est celle de sa jeunesse : « Je sais rester léger quand je ne suis pas tenu d’être grave ». Patrice se plaît à rappeler, citant Chesterton, que c’est à cette légèreté qu’on reconnaît les anges. Or savez-vous pourquoi Jacques est un ange ? Parce que Ferrand est le contraire d’Enfer… C’est Patrice qui le dit. Mais il n’écrira jamais l’Enfer qu’il avait projeté de faire (?) avec son ami Jacques à la suite de la Pépinière de sapins de Noël et d’un projet avorté de mycologie. Car la Somme avance comme un rouleau compresseur, le Troisième jeu poussant le Second à peine terminé. La nécessité intérieure, toujours contrariée – mais aussi équilibrée - par les exigences de la vie concrète et familiale, garde une bonne carburation grâce aux apports d’air frais venus de l’extérieur qui rejoignent l’exigence profonde du « jeu ».
La correspondance avec Jacques Ferrand révèle la permanence des dimensions créatrices et ludiques à l’œuvre dans la vie du poète alors même que sa production artistique s’essouffle et qu’il souffre d’une absence de lyrisme désespérante. La relation entre les deux amis constitue un terreau fertile pour des jeux infinis entre les images et les mots auxquels la correspondance fait écho et qu’elle développe aussi sur son registre propre. Le plaisir procuré par ces jeux apporte un air printanier au travail de labour hivernal et contribue à la germination de l’écriture.
Isabelle Renaud-Chamska
Présidente de la Société des Amis de Patrice de La Tour du Pin
PS : Pour mettre en évidence la longue complicité entre les deux hommes sur le terrain fertile qui se déploie entre les mots de l’un et les images de l’autre, nous publions en regard des lettres de Patrice certains dessins et jeux graphiques laissés par Jacques dans le Livre de Château - ou Livre d’or - du Bignon, à l’occasion de ses différents séjours.
Ensuite, l’année 1956 ayant donné lieu à la mise en scène de « Catherine Aulnaie » et « Saint Elie de Gueuce » au Théâtre de Poche, nous avons inséré à la date du 3 juin certains documents intéressants, en particulier le texte écrit par Albert Camus dans le programme du spectacle et le texte de présentation des deux pièces par leur auteur.
Nous sommes heureux de pouvoir publier aussi à la suite de la correspondance un charmant petit cahier inédit, une sorte de « livre d’artiste(s) » à usage strictement interne, réalisé au crayon de couleur et au feutre, fruit de la collaboration entre le poète et l’imagier, qui s’intitule Jacques le Polisson s’expose, et fait suite à cette Histoire naturelle que nous publiions en 1998 dans le Cahier 14.
Enfin, nous ne saurions trop recommander aux lecteurs de cette correspondance de lire ou de relire la délicieuse Pépinière de sapins de Noël toujours disponible chez Gallimard.
I. R.-C.
N° 21 - 2007 - Correspondances-6
Sommaire
Correspondance
Lettres à Sœur Phylis de la Vierge
Lettres au Père Didier Rimaud
“Le psaume des Psaumes”, inédit
Préface au livre de Jean Trémolières, Partager le pain
Notes bibliographiques
Edito
Correspondance avec S. Phylis de la Vierge et Didier Rimaud
Avec ce numéro 21 de nos Cahiers, nous poursuivons la publication de la correspondance de Patrice de La Tour du Pin.
Deux interlocuteurs ou confidents privilégiés à cause de leur proximité spirituelle avec le poète se trouvent ici réunis : sa sœur Phylis, de six ans son aînée, entrée toute jeune chez les Dominicaines de l’Eucharistie à Sens, une branche contemplative créée en 1920 par le Père D.-A. Brisset et la Mère Ismalda. Pendant toute son enfance, Patrice a partagé ses jeux avec sa grande sœur comme aussi avec son frère Aymar, de quatre ans son aîné ; et il retrouve intacte cette complicité qui le liait avec elle dans les sous-bois et les étangs du Bignon pendant ce mois d’août 1934 où il lui donne opportunément des leçons de conduite automobile. Il a 23 ans, il vient de publier La Quête de Joie, il fréquente le Tout-Paris ; elle a 29 ans au fond de son couvent, et elle va guider son jeune frère déjà célèbre sur les chemins de la vie spirituelle, l’encourageant et le mettant en garde, lui conseillant des lectures et l’aidant à approfondir sa vocation propre. Elle jouera ce rôle jusqu’au bout, depuis sa retraite silencieuse à Sens ou à Servoz dans les Alpes, attentive au travail de son frère qu’elle porte dans une prière continuelle. Parallèlement, Patrice aura à cœur de lui raconter la vie de leur famille pour qu’elle participe aux grands et aux petits événements qui jalonnent son histoire. C’est pour nous une source précieuse de renseignements sur la personnalité et les activités de Patrice, car nous voyons le jeune homme, le fils, le cousin, le prisonnier, l’amoureux, le nouveau marié, le père de famille, et finalement l’homme mûr prendre un soin attentif de ceux qu’il aime, de ses amis, de sa femme, et surtout de ses trois puis quatre filles – ses « toupies » –, mais aussi de celles qu’il appelle tendrement « ses vieilles dames », mère, tante et belle-mère de plus en plus âgées, qui occupent une grande partie de ses journées. Dans ces lettres, le biographe cherche aussi, avec avidité, de précieux repères chronologiques qui permettent de dater un peu précisément cet émouvant dialogue qui s’étend sur plus de quarante ans. Par déductions s’éclairent alors souvent d’autres lettres à d’autres correspondants. C’est ainsi qu’au fil de toutes les correspondances généreusement ouvertes par leurs destinataires à notre insatiable curiosité – et on voit ici comment le mot lui-même joue de toutes ses correspondances, ouvrant vers des voyages infinis –, la Somme de poésie naît et croît sous nos yeux avec une vigueur inlassable, même dans les moments de plus grande fatigue, depuis les premiers Anges sauvages des vingt ans de Patrice et la Sauvagine de La Quête de Joie, jusqu’à ces dernières hymnes toutes bruissantes des oiseaux et des anges jouant dans cette voix humaine transfigurée par la lumière de Dieu.
Le second confident convoqué dans ce Cahier est arrivé dans la vie de Patrice en 1964, au moment crucial où celui-ci négociait avec une grande maîtrise le troisième et dernier tournant de son œuvre et de sa vie, et il n’a pas quitté cette confidence jusqu’à ce 28 octobre 1975 où le poète a rendu l’âme et la voix, son œuvre à peine achevée. Ils ont vécu ensemble une amitié spirituelle et une complicité « professionnelle » d’une grande intensité que Patrice n’a connues avec aucun autre, Jean de Frotté, son petit frère en poésie, étant mort au seuil de sa vie adulte dans les dernières semaines de la guerre. Didier Rimaud était poète lui aussi, non pas poète de profession comme Patrice dont la poésie, disait-il, était le métier, mais poète de mission, pourrait-on dire, étant prêtre de la Compagnie de Jésus créée par Ignace de Loyola pour faire entendre l’Evangile sous toutes les latitudes. La complicité professionnelle se situe donc, on l’aura compris, dans la profession de foi, les deux hommes partageant une même passion pour le Christ et pour le monde.
Une femme et un homme ont vécu de plain pied avec Patrice dans ses convictions et ses intuitions spirituelles, participant ainsi, secrètement, à l’élaboration de la Somme : elle, sa sœur de sang, religieuse recluse dans son monastère comme Patrice était reclus en poésie, lui, son frère de religion, missionnaire comme Patrice se voulait apôtre, non seulement des arbres mais des hommes. Confidents d’une même foi, ils ont communié dans le même amour, mettant leur voix au service de leurs frères pour que le Royaume de l’Homme s’ouvre un peu au Royaume de ce Dieu dont ils sanctifient le Nom par la poésie.
Isabelle Renaud-Chamska
Présidente de la Société des Amis de Patrice de La Tour du Pin
N° 22 - 2009 - Correspondances-7
Sommaire
Lettres à Anne de Biéville-Noyant
Lettres à Jean Baudry
Lettres à Jean-Marie Saintillan
Edito
Correspondance avec Anne-Henri de Biéville-Noyant (2e partie), Jean Baudry (2e partie) et Jean-Marie Saintillan
C’est une émotion toujours renouvelée de se plonger dans l’intimité d’un homme comme Patrice de La Tour du Pin et de se découvrir invité dans un dialogue cœur à cœur que la mort n’a pas réussi à interrompre.
Dans ce Cahier 22, nous donnons la suite et la fin des correspondances publiées antérieurement : dans le Cahier 18 en 2002 la correspondance avec Jean Baudry (de 1934 à 1946), et dans le Cahier 19 en 2003 la correspondance avec Anne-Henri de Biéville-Noyant (1931 à 1946). Deux amis parmi les plus intimes : Anne rencontré à la fin de l’adolescence, sur les bancs du lycée Janson-de-Sailly puis à Sciences Po, l’esthète qui le premier a découvert le génie de Patrice et l’a accompagné tout au long de la création de la première Somme ; Jean présenté un peu plus tard par Aymar, le frère aîné de Patrice, critique de littérature et éditeur d’art. Anne est un globe trotteur très cultivé, parisien et mondain, professant une foi protestante assez critique ; Jean est un amoureux passionné des jardins, voisin de Patrice et Anne son épouse depuis la fin de la guerre, quand il a trouvé refuge au Bignon où le jeune couple l’a accueilli. D’appartement en maisons, il ne quittera jamais le Bignon ou son environnement immédiat, Chevry, tout en habitant le plus souvent à Paris. Des trois hommes, Patrice s’est marié le premier, goûtant aux joies de la paternité ; ses deux amis se marieront et auront des enfants plus tard. Fort de son avance, Patrice joue avec eux les grands frères.
Nous publions ensuite une série de lettres envoyées par Patrice entre 1948 et 1975 à Jean-Marie Saintillan, un lecteur admiratif et assidu, qui correspond avec le poète pour mieux comprendre son œuvre et publier des articles critiques dans des revues. Le ton est ici évidemment très différent, Jean-Marie Saintillan restant un étranger pour Patrice qui ne l’a rencontré qu’une fois au Bignon. Ces trois correspondances dans leurs complémentarités permettent donc des recoupements qui aideront le lecteur à mieux comprendre la genèse de la Somme dans tous ses états.
Une fois encore nous devons nous désoler de ne pas avoir accès aux lettres des correspondants, sauf à de rares exceptions près pour Biéville. Patrice ne gardait rien. Mais nous pouvons entendre leurs voix comme en creux dans celle de Patrice qui partage leurs joies et leurs inquiétudes, et qui manifeste une véritable et profonde sympathie malgré une sauvagerie revendiquée : mariages, naissances, maladies, décès… Il cherche à aider ses amis comme il peut, suivant l’avancement des travaux de la maison de Chevry pour Jean à qui il fait des rapports fidèles et circonstanciés, s’intéressant de près au travail littéraire d’Anne lancé dans la rédaction d’un roman après avoir consacré à Patrice une biographie qui fait date dans « l’histoire littéraire de la France ». Il donne à chacun des nouvelles de leurs amis communs et fait la chronique de sa vie au Bignon qu’il ne quitte qu’en 1960 pour s’installer à Paris. Encore y revient-il toutes les fins de semaine, pour trois jours au moins, et pour toutes les vacances.
Le plus intéressant reste le remarquable effort qu’il fait pour expliquer et faire partager l’état d’avancement de la Somme qui l’occupe chaque matin, où qu’il soit. À la fin des années quarante, ayant publié Une Somme de poésie en 1946, il prend un virage difficile vers le Second Jeu suivi de dix ans de silence où il ne publie plus rien après la Contemplation errante en 1948. Au début des années soixante, c’est encore un virage difficile avec l’engagement dans le « Troisième jeu », parallèlement à l’apprentissage de la liturgie à la table des traducteurs. Dans toutes ses lettres, le poète fait preuve d’une remarquable clairvoyance sur lui-même et sur son travail, prenant son correspondant pour confident, et trouvant un surcroît de force dans cette confidence même, qui l’aide à voir clair sur la route qu’il s’est choisie. Aucune plainte quand la partie est rude, aucun mouvement de vanité quand le poète reçoit des marques d’honneur ou ce qui, pour d’autres, serait satisfaction d’amour-propre. Mais toujours le ton simple et joyeux de l’artisan attelé à sa tâche, du coureur de fond qui ne s’arrête pas tant qu’il n’est pas arrivé au bout de sa course. Le travail du poète et celui du jardinier ont en commun une patience toujours renouvelée, une intelligence des rythmes biologiques, et une immense modestie mâtinée d’humilité devant la vie.
Ce qui frappe finalement dans ces confidences de Patrice de La Tour du Pin, comme dans les correspondances précédemment publiées, c’est la perméabilité entre l’intérieur et l’extérieur de l’être, le mouvement perpétuel entre la contraction (le matin) et l’expansion (l’après-midi), le repli sur soi pour le travail intime de l’esprit, et l’ouverture du cœur vers les autres dans leur commune humanité. Demander à Jean de payer rapidement la facture du plombier, faire l’intermédiaire entre le boulanger qui cherche une place de gardien et Anne qui cherche un gardien pour sa maison de Langé, accueillir de très vieilles dames souffrantes et passablement ennuyeuses pendant des semaines chez soi, s’adonner aux travaux quotidiens du jardin, apprendre à lire aux petites filles et les soigner lorsqu’elles sont malades, tapisser les fauteuils du salon, s’inquiéter de chacun au raz des pâquerettes, toutes ces tâches de la vie ordinaire qu’il accomplit avec conscience et bonheur viennent nourrir le travail de la Somme même si rien ne le laisse deviner : « J’ai une marotte de jardinier, mais je ne laisse pas entrer de vers sur les roses dans mon jardin » écrit-il à Jean-Marie Saintillan le 20 septembre 1951. Perméabilité, étanchéité : c’est bien dans cette alternance de mouvements complémentaires que la Somme se construit au fil des ans.
Des 118 lettres que nous publions ici, il n’en est pratiquement aucune qui soit datée par son signataire. Certaines le sont par le destinataire, mais cette indication s’avère souvent approximative, voire inexacte. Parfois, mais c’est trop rare, nous avons la chance d’avoir l’enveloppe avec un cachet postal lisible. La plupart du temps, les dates sont déduites du contenu des lettres et indiquées en italiques, entre crochets ; on a pu s’aider aussi des autres correspondances publiées dans nos Cahiers 14, 18, 19, 20 et 21. Ces correspondances correspondent aujourd’hui entre elles et s’éclairent mutuellement pour nous permettre de reconstruire en toute hypothèse le travail littéraire de Patrice de La Tour du Pin grâce à ses confidences épistolaires. Un prochain Cahier mettra une dernière pierre à cet édifice.
Isabelle Renaud-Chamska
Présidente de la Société des Amis de Patrice de La Tour du Pin
N° 23 - 2011 -
Correspondances-8
Sommaire
Présentation : Patrice de La Tour du Pin épistolier par Isabelle RENAUD-CHAMSKA
Récapitulatif des publications de correspondances de Patrice de La Tour du Pin dans les Cahiers
Lettres d’une première période
à Louis d’Hendecourt
à Lucien Jaïs
de Jean Amrouche
à Joachim de Bernis
à Henri Leroy-Beaulieu
Lettres d’une deuxième période
au père Jean-Augustin Maydieu
à Jean Trémolières
à Patrice Blacque-Belair
à Françoise de Raucourt
à Francis Boutemy
Lettres d’une troisième période
à Carla Della Porta
à Emmanuel de Calan
à Jean-Paul Allardin
à Javier Del Prado
à Jacques et Germaine Berthier
à sœur Marie-Pierre Faure
Lettres à un jeune poète
à Arnaud de Marëuil
Vie de la Société
Centenaire de la naissance de Patrice de La Tour du Pin
- annuaire des célébrations nationales 2011
- colloque des 12 et 13 mai 2011 au Collège des Bernardins
- actes du colloque publiés chez Parole et Silence-Lethielleux
- réédition de
Psaumes de tous mes temps chez Ad solem
- publication du
Bestaire fabuleux sur le site Internet
Bibliographie
Edito
Suite et fin de la correspondance : Patrice de La Tour du Pin épistolier
En intitulant son livre unique
Une Somme de poésie, le jeune poète, au seuil d’un colossal travail de création littéraire, savait ce qu’il faisait.
Une Somme de poésie, ce n’est pas une somme de poèmes. La prose tient une place tout à fait éminente dans l’élaboration et la réalisation de l’œuvre. L’alternance de ces deux grands types de discours, la prose et les vers, en constitue la structure même, dans une variété étourdissante de genres littéraires et de tons musicaux. À l’intérieur de la
Somme, le genre épistolaire est très présent, surtout dans le Premier et le Troisième jeu. Il suffit de penser aux deux « Epîtres d’un quêteur de joie à Lorenquin » (
SP I p. 287 et 306) et à la réponse de celui-ci (
SP Ip. 316), aux cinq Lettres de la « Correspondance de Laurent de Cayeux » (
SP I p. 369-377), aux quatre Lettres d’ « Une Lutte pour la vie », ou aux trois « Lettres de faire-part »… Et l’on n’oubliera pas non plus les sept « Lettres d’appel » (
SP II p. 207-215) dans le Deuxième jeu, bien qu’elles soient sous-titrées « psaumes » et qu’elles aient une forme poétique. Ces lettres sont une manière pour le poète d’expliquer ce qu’il fait, ce livre en cours, livre au long cours, en train de se faire sous nos yeux – «
work in process ». C’est une manière aussi d’intégrer le lecteur – comme témoin – à la création poétique dont le poète sait bien qu’il en est le créateur, mais aussi qu’elle trouve sa source ailleurs. C’est une manière enfin de rappeler que le livre est adressé, que toute poésie est « tendue vers » l’autre, l’inconnu, le frère, car elle est toujours, d’une manière ou d’une autre, une « carte du Tendre ». Ainsi s’élabore la structure trinitaire de la création selon La Tour du Pin, en écho à la structure trinitaire de l’homme découverte chez les Pères de l’Eglise, elle-même image de la Trinité divine. C’est la structure même de la
Somme en ses trois
jeux.
Lorsqu’il avait travaillé toute la matinée, très dur le plus souvent, et après s’être adonné à ses différentes activités quotidiennes d’époux, de père de famille, de propriétaire terrien, de jardinier, etc., le soir, lorsqu’il ne recevait pas quelques-uns de ses nombreux amis, La Tour du Pin se remettait à écrire. Non pas des poèmes, ni des essais, ni des lettres fictives à des confidents inconnus, mais de « vraies » lettres, à des personnes connues, aimées, estimées, comme c’était l’habitude à une époque où le téléphone n’était guère utilisé que de manière pratique. De longues lettres où il met tout son cœur, dans lesquelles il donne des nouvelles de sa famille et raconte son travail d’écriture, la lente élaboration de cette
Somme qui est l’œuvre de sa vie, qui est sa vie même. On est admiratif du temps passé avec chacun de ces « chers », et de la
somme de temps passée à cette activité épistolaire, quand on lit soi-même les quelque 850 lettres que nous connaissons de sa main. Elles ont accompagné fidèlement le poète dans son activité littéraire, lui donnant le soir la possibilité d’épancher dans un cœur amical et compréhensif les difficultés et les bonheurs de son travail du matin pour continuer la tâche le lendemain. On peut penser qu’elles l’aident à clarifier sa pensée et à prendre un recul précieux pour échapper aux mille écueils qui le guettent dans ce métier plus risqué qu’il n’y paraît. Elles sont pour nous aujourd’hui un inestimable trésor pour comprendre l’élaboration de la
Somme dans son action et dans son résultat. Elles nous offrent le bonheur de nous tenir discrètement derrière l’épaule du poète à sa table de travail, et de lire à même son cœur ouvert, comme un ami invisible à qui ces lignes seraient adressées au-delà du temps.
Avec ce
Cahier n° 23, c’est la septième et dernière livraison de lettres que nous publions. Six cahiers (n°s 14, 18, 19, 20, 21, 22) ont déjà fait connaître les lettres envoyées par Patrice de La Tour du Pin à ses confidents les plus proches et les plus gâtés : Anne de Biéville (171 lettres de 1931 à 1967), Jean Baudry (102 lettres de 1934 à 1974), Jacques Ferrand (154 lettres de 1950 à 1975), sa sœur Phylis (95 lettres de 1931 à 1972) et quelques autres correspondants, la plupart très intimes : Jean et Edouard de Frotté, Michel du Boisbéranger, Louis-René des Forêts, Didier Rimaud, et Jean-Marie Saintillan. Nous renvoyons le lecteur à ces ensembles de correspondances passionnants, que nous avons établis et publiés grâce à la générosité et à l’amitié de leurs destinataires, qui les ont remis après la mort de Patrice à Anne de La Tour du Pin à qui nous les devons.
On trouvera ici ce que je n’oserais nommer les
reliquats de la correspondance du poète si ce terme ne contenait le beau mot de « reliques » : toutes les lettres qui restent dans les Archives du Bignon forment un ensemble très hétérogène par la qualité des destinataires (du plus intime au plus étranger) et par le nombre des lettres à eux adressées sur une période plus ou moins longue. Je les ai classées en trois périodes selon la date du début de chaque correspondance : la première période comprend les amis d’enfance : Louis d’Hendecourt, le grand cousin avec qui Patrice publie son premier recueil de poèmes lorsqu’il a 14 ans, Joachim de Bernis, le cousin bien aimé, et Henri Leroy-Beaulieu, l’ami de classe, ainsi que le premier éditeur de Patrice, Lucien Jaïs, avec qui nous assistons à la naissance de
La Quête de Joie, en complément de la correspondance avec Anne-Henri de Biéville (cf. le
Cahier n° 19 et mon article « Le poète et l’esthète » dans le colloque édité par Droz en 2005). Nous y avons ajouté quatre lettres de Jean Amrouche que Patrice gardait précieusement, l’un de ses premiers lecteurs et admirateurs, qui, avec Armand Guibert, a contribué de façon décisive au lancement de
La Quête de Joie et à la publication des poèmes qui l’ont suivie, en particulier
L’Enfer.
Dans une deuxième époque, j’ai regroupé les correspondances qui commencent après la publication d’
Une Somme de poésie, en 1946 : au père Maydieu, dominicain, directeur de
La Vie spirituelle, à Jean Trémolières, médecin, voisin et ami, à Patrice Blacque Belair, parti rejoindre les Petits Frères du père de Foucauld dans le désert marocain pendant que Patrice affronte son propre désert intérieur, à Françoise de Raucourt, qui partage la vie de la famille et servira de secrétaire à Patrice, et à Francis Boutemy, qui partage avec lui les plaisirs de la chasse.
Dans la troisième période, j’ai regroupé les correspondants de la dernière décennie, Carla Della Porta, une étudiante italienne, Javier Del Prado qui fait une thèse sur la
Somme (en espagnol), Jean-Paul Allardin, chargé d’une enquête, Jacques et Germaine Berthier, respectivement compositeur et poète, lancés avec Patrice dans l’aventure des créations liturgiques, et sœur Marie-Pierre Faure, cistercienne, elle aussi poète.
De ces correspondances croisées et recoupées, aux rythmes plus ou moins soutenus selon les correspondants et selon les époques, – et chacune des correspondances peut se poursuivre dans la période suivante – se dessine le portrait de Patrice vivant et travaillant, réfléchissant et créant au fil des jours.
La tapisserie aurait pu s’arrêter là – elle était déjà très belle – si nous n’avions reçu comme un cadeau du ciel un ultime apport épistolier, d’une cohérence et d’un intérêt inespérés : les lettres envoyées par Patrice à Arnaud de Marëuil. Il s’agit de 39 lettres qui s’échelonnent de 1952 à 1975. En novembre 1952, Patrice a 41 ans lorsqu’il est contacté par un tout jeune homme (un enfant ?) de 16 ans qui veut être poète. Pendant plus de vingt ans, avec une grande régularité, ils vont s’écrire. Patrice accompagne le poète débutant puis plus assuré sur les chemins de la création, comme il le fait depuis cinq ans avec un autre jeune poète, un peu plus âgé, André Romus, dont Luc Estang a publié au Seuil la correspondance en 1981. On y découvre Patrice dans une relation très paternelle quoique pleine d’humilité, mais surtout c’est l’occasion pour lui de parler poésie à un « confrère » et de mettre en évidence pour ce « confident » avec qui il partage la même foi dans le Christ, le nœud intime et secret qu’il a découvert en lui-même tout jeune, et sur lequel il travaille sans relâche, entre sa recherche spirituelle et son exercice d’écriture. On y découvre aussi la manière dont il a réalisé l’édition de
La Quête de Joie dans la collection Poésie/Gallilmard, et la réflexion qu’il a menée sur une anthologie possible pour construire la
Petite somme de poésie publiée en 1969. Ces pages sont précieuses, surtout après la disparition de la correspondance de Patrice avec Maurice Champagne dans un incendie – qui aurait pu être celui de Tess –, de l’autre côté de l’Atlantique.
La correspondance disponible de La Tour du Pin est maintenant complètement établie – il faudra y ajouter les quelque 50 lettres à Armand Guibert en cours de publication au CNRS par Marie-Josette Le Han. Nous pouvons évoluer dans la vie du poète comme dans sa
Somme, invités à partager les heures de découvertes émerveillées (sous le signe de « Le Verrier », découvreur d’étoiles) et les heures plus sombres de dépression (sous le signe d’« Azincourt », cuisant désastre). Il reste à faire le passionnant travail qui consiste à mettre en parallèle les pages de la
Somme et ces lettres où elles résonnent à la fois par anticipation (car les lettres fourmillent de projets qui seront plus ou moins vite réalisés), et par
reprise, puisque c’est la manière d’avancer la plus « courante » de l’écrivain en activité d’écriture, chaque livre, recueil et poème étant repris jusqu’à sept fois sur plusieurs années.
On comprendra mieux, alors, la
singularité de celui qui n’a pas voulu être un « homme de lettres », mais un homme « de l’être » : « J’avance très lentement : je ne détermine pas mon livre à l’avance, je ne suis pas un homme de lettres. Je sais seulement que c’est une voie difficile, parce que l’être tout entier la suit, et non pas seulement son intérêt, sa curiosité, son désir de dire ou de chanter ; chacun, bien sûr, a son exigence et ce qu’on appelle sa vocation : il n’est pas bon d’imiter celle des autres, mais de trouver la sienne. C’est pourquoi je crois nécessaire d’entrer le plus avant possible dans son propre mystère pour connaître ses opérations singulières, celles qu’il faut faire à tout prix pour avoir le sentiment, mais surtout l’intelligence, de vivre. Tout cela paraît assez simple à dire, mais l’aventure à mener est atrocement difficile, longue et obscure. Et l’on n’en a jamais fini. » (
Lettres à André Romus, 3 juillet 1947, Seuil, 1981, p. 40).
Il n’est pas toujours facile d’établir le texte des manuscrits avec certitude, de déchiffrer la petite écriture rapide qui va au fil de la pensée, sans presque aucune rature, de comprendre les allusions contenues dans les lettres, de dater chacune des 147 comme autant de pièces d’un puzzle, de reconstituer des ensembles plus ou moins importants et forcément lacunaires, après de minutieux recoupements, pour en proposer une forme cohérente et juste. Travail de bénédictin et de détective dans lequel j’ai été aidée par des âmes patientes qui ont « saisi » avec délicatesse les lettres de Patrice. Qu’elles soient ici remerciées. Que soient aussi remerciés les récipiendaires qui nous font partager ces lettres comme leurs trésors les plus précieux, et nous permettent de les goûter aujourd’hui dans toute leur fraîcheur.
Isabelle Renaud-Chamska
Présidente de la Société des Amis de Patrice de La Tour du Pin