Patrice de La Tour du Pin, né le 16 mars 1911, avait publié à compte d’auteur en 1926 avec son cousin germain Louis d’Hendecourt, né le 6 janvier 1912, un recueil de poèmes intitulé
Lys et Violettes (en hommage respectivement au Roi et à l’Empereur). Patrice (PLTP) avait d’autres idées de titre, comme il l’écrivait à Louis (LH) le 28 décembre 1925 : « Pour moi, celui que je trouve le mieux est
L’offrande à la Lune.
Les trois premiers poèmes du recueil, signés L.H,
Hymne au soleil,
Aurore et
Soleil levant, ont une tonalité solaire. A l’opposé, l’atmosphère crépusculaire, voire nocturne, est dominante dans plusieurs des poèmes de PLTP, à commencer par «
Coucher de soleil- A la mémoire de mon père », le seul poème de Patrice dédié à son père, François, mort au champ d’honneur en 1914. Un peu plus loin,
l’Hymne à la Nuit, avec ses quatre strophes s’ouvrant sur « Vive la nuit », nous frappe par son « réalisme macabre » (cf. lettre adressée à Louis le 6 mai 1925 par sa tante Marie de Montgelas), impression confirmée par les « danseurs de la danse macabre » dans
Les voix qui crient dans le désert. En fait, comme le fera remarquer Eva Kushner dans son « Patrice de La Tour du Pin » publié en 1961 chez Seghers / Poètes d’aujourd’hui, la poésie de Patrice reflète souvent l’aspect nocturne de la réalité : «
Il ne faut pas oublier la Nuit, me dit-il à propos de la création poétique ».
La Joie, elle, n’apparaît pas ici de manière spontanée. Elle sera le but et le fruit de « La Quête ».
L’historien Pierre de la Gorce, auteur d’un avant-propos à l’édition définitive du recueil, écrit le 20 mars 1926 au père de Louis, mon grand-père maternel Albert d’Hendecourt, veuf d’Alix de La Tour du Pin « Pour des adolescents de quinze ans, ces vers sont remarquables et révèlent des facultés exceptionnellement heureuses. Cependant, dans ma petite lettre, je me suis abstenu de trop louer ». Il en donne deux raisons : « la première est que ces vers comportent, malgré tout, des maladresses, et la seconde c’est que la carrière de l’homme de lettres (le poète surtout) étant très ingrate, je ne voudrais pas avoir une part de responsabilité dans l’avenir de votre cher fils en lui prodiguant des éloges qui pourraient le détourner d’autres occupations ».
En réalité, ces facultés heureuses s’étaient déjà manifestées dans un « Journal littéraire » inédit,
L’Etincelle, directeur Mr. P. de La Tour du Pin, rédacteur : Mr Louis d’Hendecourt, dont ma cousine Marie-Liesse d’Aboville a bien voulu m’adresser une copie.
Le N°1, daté du 19 octobre 1925, s’ouvre par une introduction de PLTP qui sonne comme un véritable manifeste et dont voici un extrait prémonitoire : « Dans ce siècle essentiellement scientifique, où beaucoup de gens se piquent d’être poètes, sans avoir le moindre talent ou la moindre inspiration, dans ce siècle où l’on ne parle que d’électricité, de records, de locomotives et autres chevaux-vapeur, il est bon de se tourner vers la littérature, la poésie en particulier, dont nous Français sommes si fiers. »
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L’aventure se poursuivra de manière distincte pour chacun des deux cousins. La vocation poétique allait se confirmer pour Patrice et la vocation religieuse pour Louis, avec en commun l’esprit d’aventure, l’élévation spirituelle et le refus de « faire carrière », à l’Académie ou dans l’Eglise.
Ce fut pour Patrice la
Vie recluse et la
Somme de poésie, pour Louis le départ en mission en Inde et l’apostolat au service des populations les plus déshéritées de la région de Mysore.
Comme je les interrogeais - j’avais alors 23 ans et eux 56 - sur la relation entre la dimension humaine et la dimension spirituelle de leurs aventures respectives, le poète et le missionnaire me firent la même réponse. Le premier en 1967, au Bignon, en me dédicaçant la réédition chez Gallimard de « La Quête de joie suivi de Petite somme de poésie », alors qu’il était déjà engagé dans la « refonte » de sa Somme, le second en mars 1968, à Bombay, quelques heures avant sa mort accidentelle à l’issue du voyage que j’avais fait en Inde pour le revoir. Pour l’un comme pour l’autre, les deux aspects étaient indissociables.
Emmanuel de Calan