« Les vacances sont terminées… »
Dans l’entreprise gigantesque que représente
Une Somme de poésie, Patrice de La Tour du Pin, abordant la troisième et dernière partie de cette œuvre dans laquelle il avait engagé toute sa vie dès la fin de son adolescence, a décidé, au début des années 1970, de reprendre tout son travail à la lumière de ce qu’il avait trouvé au terme de 40 ans de création poétique.
Il a mené ce colossal travail de refonte tout en terminant le Troisième Jeu de sa
Somme, et tout en consacrant une grande partie de son temps à la traduction et à la création des textes liturgiques à l’invitation de l’Église pour répondre aux attentes du concile Vatican II.
On sait que la maladie l’a rattrapé par surprise et ne lui a pas laissé le temps de parachever son entreprise. Après sa mort le 28 octobre 1975, Anne, sa femme, aidée de la secrétaire de Patrice, Françoise de Raucourt, du P. Didier Rimaud sj, familier et complice de Patrice et du P. Bernard Striffling, ont eu à cœur de réaliser l’édition définitive de la
Somme de poésie à partir de tous les brouillons et notes laissés par le poète. Celle-ci sera publiée chez Gallimard dans la collection Blanche entre 1981 et 1983. C’est l’édition définitive d’
Une Somme de poésie, toujours disponible en librairie.
Le Troisième Jeu ou « Jeu de l’Homme devant Dieu » était le plus problématique car il n’avait pas, contrairement aux deux autres, connu d’édition antérieure en l’état : il était en pièces détachées. « Le Petit théâtre crépusculaire » qui en constitue le premier quart, avait bien été publié en 1963, mais Patrice l’avait fortement allégé et corrigé, supprimant de nombreux poèmes et réécrivant totalement les proses en regard. Il a fallu de nombreuses heures de travail à la petite équipe sous la houlette de Bernard Striffling, pour trouver un ordre satisfaisant que nous connaissons aujourd’hui.(1)
« Une Lutte pour la vie », qui constitue le deuxième quart du livre, avait été publié en 1970. Mais ici encore le poète avait profondément remanié les parties en prose rédigées sous forme de « lettres » adressées à ses lecteurs, « confidents », « citadins » ou « clients », qui constituent l’épine dorsale du recueil de 1970. Il s’explique sur sa démarche poétique, poursuivant ainsi l’effort d’élucidation auquel il s’astreignait depuis
la Vie recluse en poésie (1938), dans le sillage de Paul Valéry, haute figure intellectuelle de référence dans la formation du poète.
Or en lisant l’édition de 1983, on ne peut manquer d’être surpris de constater la disparition d’une de ces « lettres », la « Lettre pascale à des citadins à propos de l’Église et du monde ». S’agissait-il d’une volonté exprimée par le poète, d’une décision prise par l’équipe éditoriale, ou d’un malencontreux oubli ?
Après maintes recherches dans les archives du Bignon, nous avons découvert que Patrice avait réécrit totalement la lettre publiée en 1970, comme il l’avait fait pour les autres lettres. Plusieurs états de ce texte révèlent un travail soigneux et rien ne nous laisse penser qu’il aurait sacrifiée cette lettre pour une raison ou une autre. L’équipe éditoriale n’ayant pas laissé d’explications, nous n’avons rien trouvé qui nous guide pour entrer dans l’intelligence de cette décision. Rien ne nous paraît justifier une telle suppression, sinon peut-être une consigne éditoriale s’inquiétant de l’épaisseur du volume.
Il nous semble donc aujourd’hui fort utile de donner accès à cette « lettre » essentielle située à un point stratégique d’« Une lutte pour la vie », entre la « Semaine de Pâques » et le « Pâtis de la création ».
Nous transcrivons ici le tapuscrit qui nous paraît le plus récent. Il a été relu et corrigé à l’encre de la main du poète, puis relu et annoté au crayon par Didier Rimaud avec qui Patrice avait donc voulu partager ce texte important dont le tout premier titre était « Troisième lettre à des citadins sur l’humanité fiancée ». La dimension nuptiale de l’Église est un thème récurrent dans le Troisième Jeu. Nous n’avons pas transcrit les ratures ni les reprises du poète, peu nombreuses au demeurant, le texte étant quasi prêt pour l’impression. Mais il nous a paru intéressant d’indiquer en note les réactions et les questions de Didier Rimaud, le premier récipiendaire de cette « lettre ».
Une dernière précision, pour mémoire : les autres « livres » qui constituent le Troisième jeu, « Sept Concerts eucharistiques », « Lettres de faire-part », « Cinq petites liturgies de carême », écrits et publiés plus récemment, n’ont pas subi de modifications substantielles. La « Veillée pascale » qui clôt le Troisième Jeu était encore inédite quand le poète a fermé les yeux. Elle devait être suivie d’une « Grand-messe de la Résurrection » restée inachevée.
Nous sommes certains que la réapparition de cette « Troisième lettre à des citadins à propos de l’Église et du monde » au sortir de longues « vacances », pourra éclairer et intéresser les lecteurs de la
Somme de poésie.
(1) Sur les motivations de ce travail de réécriture des proses d’Une Somme de poésie, depuis « La Vie recluse » jusqu’aux proses du « Petit Théâtre crépusculaire » et d’« Une Lutte pour la vie », voir notre article « La moniale et le poète », Liturgie n° 199, novembre 2022 (publication novembre 2023) , et la lettre de Patrice de La Tour du Pin à Sœur Marie-Pierre Faure publiée dans notre Cahier n°23 p. 131.
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