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Chansons

Nous publions ici quatre textes inédits conservés dans les archives du poète au Bignon, intitulées « Chansons ».

Trois d’entre eux composent un ensemble. Ce sont des « Chansons de vacances » en strophes soigneusement versifiées d’heptasyllabes (l’une comprenant un vers de 5 syllabes) et rimées avec brio, que le poète semble avoir, pendant un temps, pensé introduire dans la « Semaine de Pâques » d’Une Lutte pour la vie, juste avant la « Lettre pascale à des citadins à propos de l’Église et du monde », comme le montrent les indications suscrites.
Cette lettre précède « Le pâtis de la création » dans l’édition de 1970 et a mystérieusement disparu de l’édition de 1983, sans que l’on connaisse très bien la cause de cette suppression de l’édition définitive posthume. Le poète la commençait par ces mots : « Les vacances sont terminées. J’espère que vous avez bien reçu l’essai de psaume et les poèmes. » (Une Lutte pour la vie, 1970, p. 201) Il n’y parlait pas de chansons, mais ce genre littéraire est bien présent dès 1946 dans Une Somme de poésie depuis les « Chansons de Pentom » dans le Premier Jeu (I 214-219). La référence aux vacances est présente aussi dans la « Lettre de Carême à des citadins à propos de liturgie » qui précède l’« Essai de psaume pour le carême » dans les deux éditions, et se termine par ces mots «  Au revoir, après Pâques […] Quittez-vous la Ville pour les vacances ? » (p.154/ III 232).

Nous avons donc un ensemble cohérent de trois poèmes et d’une lettre en prose qui semblent bien avoir été pensé par le poète pour trouver une place dans l’édition complète du « Jeu de l’homme devant Dieu », alias « Troisième jeu ». Il est fort probable que le temps a manqué au poète pour mettre une dernière main à la composition de ce livre déjà imposant et que la petite équipe éditoriale a dû renoncer à inclure la lettre et les chansons dans l’édition définitive posthume.

La quatrième chanson, un peu plus longue, comporte huit strophes de six vers en hepta- et penta-syllabes, elles aussi. Elle a été écrite dans la même veine que les trois autres. Elle s’apparente à un conte pour enfants. Sa chute mystérieuse invite néanmoins à y lire une allégorie mystique.

À la fin des années 1960, le poète explique qu’il écrit des chansons (genre littéraire pour lequel il a depuis toujours une prédilection) afin de s’entraîner à la rédaction des hymnes commandées par l’Église pour la liturgie, qui devront être rigoureusement isorythmées et rimées, et qui paraîtront en effet à la fin d’Une Lutte pour la vie en 1970. Et il en composera d’autres jusqu’à sa mort en 1975.

Chanson de vacances - PRIMEURS

Jeudi Vendredi de P ?

3 « Marchand des quatre saisons
Livre printemps à l’automne
Avec rimes et raison ».
C’est avec regret qu’il donne,
Comme tant d’autres marchands,
Un goût d’automne au printemps. 

Il va chercher des primeurs,
Dans sa resserre en désordre
Sur l’autre côté du cœur,
Puisqu’il a des antipodes
Où le temps est retourné
Et janvier devient juillet.

Les gens croient qu’il jongle un peu
Avec les fruits de la terre,
Et qu’il joue avec le feu
Sur un miroir à sorcières :
N’est-ce pas tromper la faim
Que changer décembre en juin ?

Mais s’il sait que par des mots
On ne nourrit pas les hommes
Et s’il n’est pas assez sot
Pour penser tromper personne,
Qui peut l’empêcher d’aimer
En novembre un goût de mai ?

Marchand des quatre saisons,
Tu déroutes qui t’approche,
Quand ton âme est à passion,
Ton sourire sort de poche !
On peut hybrider, dit-il,
Ciel d’octobre et ciel d’avril.

Et qui n’en ferait autant
Sur l’espoir que la mort passe,
Tant qu’on n’est pas trop souffrant
Pour cultiver sous l’angoisse
Et recueillir des primeurs
Justement où la vie meurt ?
Patrice de La Tour du Pin


Chanson de vacances - CHASSE A MORT

Vendredi
Jeudi Jeudi de Pâques ?

Avec douze chiens de chasse
Invisibles, bondissants,
Peut-on traquer dans la ville
La tireuse de ficelles
Et de trompe-l’œil-vivant,
Tant elle croise ses traces
Dans les ruelles reptiles
Et tant ses fils s’entremêlent
Sur la meute et le bon vent ?

Le plus beau cheval du monde
Sonnant à corps et à cris,
Il s’empêtrerait les pattes,
S’il se fiait à sa puissance
Pour échapper au lacis,
Prenant le change à son ombre
Sur des juments automates,
Il se perdrait aux silences
Que la vieille tisse en lui.

Et même un chasseur fidèle
Mis à pied sur le trottoir,
Ne tiendrait pas la mesure
De son cœur et de son souffle
Entre voir et ne pas voir ;
La tireuse de ficelles
Se glissant dans la jointure
A tous les coups ferait mouche,
Une mouche d’abattoir.

Il ne reste que l’air libre
Et soufflant vraiment de là
Où la vie se désattèle, 
Où les douze chiens s’arrêtent
Et le beau cheval s’abat :
Alors chasseur d’impossible,
Tu peux te remettre en selle :
Et ne plus courir le froid.
C’est la mort qui a pris froid.
Patrice de La Tour du Pin


Chanson de vacances - LA BOUILLOIRE

SAMEDI Samedi de P. ?

Aux estrades de la foire,
Beaucoup de crieurs
Brient* leurs chants avec du noir
Et font cuire au brou de cœur,
Sans appel aux ramoneurs
Pour brosser leur cheminée ;
Moi qui sais que tout espoir
Est en forme de fumée,
Je m’en tiens sur ma bouilloire
Aux petits bouillons d’aimer.

Quand on joue à fumée-vole,
Ne pas trop voler !
Si c’est à touche-parole,
Tenir méfiance à parler
Même avec un cœur fêlé :
Tout cuit sans un goût de cendre,
A qui remplit d’eau son bol
Pour que le jour puisse y prendre ;
Entre feu de ciel et sol,
Tout cuit à qui sait attendre.

Peut-on dire aux âmes veuves
Et qui broient à mort,
Qu’elles devraient faire eau neuve,
L’autre ayant passé leurs bords
Pour se perdre en quels dehors ?
Dedans, leur bouilloire bout
D’un vieux sang à dure épreuve
Car tout son sel se dissout ;
Et il faut que le ciel pleuve,
Si au toit lui reste un trou.

C’est ce que je chante aux foires,
Pas bien sûr de moi,
Pas très fier de mon histoire,
Ramonant mon col étroit
Jusqu’à m’assourdir la voix,
Mais gardant sous la fumée
Et sans trop broyer son noir,
Le murmure bien aimé
Du bouillon de ma bouilloire
Sur mon feu de cheminée.


* Brier est un terme de boulangerie qui signifie pétrir la pâte pour faire un pain lourd à la mie serrée.
Patrice de La Tour du Pin


Chanson

Vienne sur la route jaune
La carriole déhanchée
Avec son cocher,
Et sa caisse à bougies vide,
Et sa jument qui charbonne,
Alors cherche à s’y cacher
Le plus las, le plus timide
Promeneur à canne et pieds.

Au travers d’averses sales,
Entre ciel et champs pourris
Et poissons de pluie,
Ce n’est plus un corbillard
Mais un carrosse nuptial
Pour les âmes en retard
D’un amour et d’une vie.

Quand s’approche l’une d’elles,
Les harnais deviennent blancs,
Et l’on voit dedans
Des coussins fourrés d’hermine,
Des miroirs et des dentelles,
Des cascades d’aubépines
Et des appliques d’argent.

Tous les vents, les vents de neige
Restent dehors désormais.
Qui va-t-elle aimer ?
Et quels yeux de quel visage ?
Le jeune homme sur son siège
Les fixe tient sur son attelage
Et ne les tourne jamais.

Mais n’est-ce pas sa demeure
Que l’on voit briller enfin
Entre les sapins ?
Quand il ouvre la portière,
On entend battre son cœur ;
Dans la grande cour de pierre,
Il vous guide par la main.

Le perron est tout en fête,
L’antichambre est éclairée…
De grands chiens dorés
Qui se chauffaient à la flamme
L’accueillent alors en maître,
Et très courtois flairent l’âme
Inconnue qu’il fait entrer.

Il vous guide entre des glaces
Par de longs couloirs brillants
Et puis doucement,
Il vous désigne une chambre
Vous entrez frappez, et il s’efface
Il vous laisse seul dans l’ombre
A celui qui vous attends.

Car ce n’est pas son haleine,
Ni ses bras, ni son baiser
Qui devaient mener
La fin de cette aventure
Où l’amour d’une âme humaine
Dans peut enfin se consommer…
Patrice de La Tour du Pin

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